Pensée de la Police

par Adehoum Arbane  le 10.05.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

Et si les années 80 étaient moins insipides qu’il n’y paraît ? Deux groupes et peut-être deux chansons démontrent, s’il en était, la résilience d’une musique qui serait cependant rudoyée, torturée pour finir rabougrie à force de céder aux canons des radios et, ô nouveauté, de la télévision, surtout MTV et son média roi, le vidéo clip. Le premier des groupes sonne familier à l’oreille, pas tant pour sa référence autoritaire mais pour la qualité et l’originalité de son répertoire, je veux parler de The Police. Réduit à l’essence alchimique d’un trio, Police – pour les français – a produit cinq albums fondamentaux – même si l’on est moins séduit par Zenyatta Mondatta –, renouvelant à chaque fois le langage qu’il avait posé dès 1979, un rock véloce – punk ? – et pourtant onctueux – les influences reggae. Alors que le groupe entame sa carrière sur deux albums en tout point parfaits, Outlandos d'Amour et Reggatta de Blanc, qui franchit le cap en matière d’inspiration avec ces joyaux que sont The Bed's Too Big Without You et Bring On The Night – parmi tant d’autres –, les deux disques suivants empruntent un chemin inspirationnel moins limpide, d’où quelques morceaux plus faibles au milieu des classiques. Sting souhaitant développer sa carrière solo, le dernier album, Synchronicity, se devait de muer en chef-d’œuvre absolu, ce qu’il fit bien entendu. Offrant une première face très aventureuse, et une deuxième plus dans le goût de ce que produira seul le célèbre bassiste, le disque ne ménage jamais l’auditeur. Une fois de plus – et c’est la marque du groupe – on découvre des singles imparables, l’enchaînement génial de Every Breath You Take, King of Pain, Wrapped Around Your Finger et Murder By Numbers. Rappelons-le, nous sommes en 1982 et déjà, sévissent sur les ondes de nombreuses formations donnant dans le hardcore le plus absolu – pas le genre – mais la propension à livrer toute chose assez ignoble, et que l’on oubliera très vite. En 82 donc, Police arrive encore à étonner, ajoutant à sa palette instrumentale des claviers qui se cantonnent à leur mission, soit ouvrir d’un point de vu strictement musical le champ des possibles. Parmi les bombes que sont Synchronicity I et II, se glisse cet ovni, Mother. Morceau psychiatrique, à la limite de l’audible. Si l’on pousse l’écoute – et l’analyse – au-delà, on dira que Police a sans doute tenté de tutoyer bien modestement l’avant-garde, explorant pour notre plus grand plaisir le versant le plus complexe de son entreprise créative. Bien sûr, il y eut pendant cette décennie des groupes à l’approche radicale, au son tantôt froid, tantôt tourmenté mais un tel parti-pris venant d’une formation mainstream alors au sommet de sa popularité, est exceptionnel. Les arrangements orientaux, la voix de muezzin dérangé d’Andy Sommers qui signe le morceau, le final où la folie n’est pas feinte, mais incarnée, vécue, tout concourt à faire de Mother un morceau à part, paranoïaque et il faudra la rythmique douceureuse de Miss Gradenko pour se remettre de cette épreuve. Un an après, c’est au tour de Genesis de proposer, au milieu des tubes inoffensifs, un titre plus contrasté, Mama, ouvrant judicieusement son nouvel opus. Moins dérangeant que Mother, il montre cependant Phil Collins sous un jour plus inquiétant, voir le pont. Certes, on objectera que Genesis reste une formation progressive prompte à livrer des morceaux longs, discordants, mais en 83 le groupe a depuis longtemps amorcé son virage pop ; et le passé – l’ère Gabriel – est loin, révolu voire presque oublié. Là encore, adopter une telle démarche pour un groupe intégré dans le Système aurait pu s’avérer fatal. Il n’en fut rien puisque Mama devint le single le plus vendu de sa carrière.  Qu’on se le dise, il y aurait donc une place pour de telles chansons ! Si l’on prend le temps de revenir à Police et à son chant du cygne, Synchronicity, on notera également – bien plus que le Genesis des 80s et d’autres formations – une production plutôt claire, à la fois touffue mais jamais clinquante, et qui a plutôt bien résisté aux ravages du temps. On retrouve aussi et pour notre plus grand bonheur la force de frappe de Stewart Copeland, la guitare sinueuse d’Andy Summers – qui s’épaissit sur Mother –, la basse monstrueuse et la voix si identifiable de Gordon Sumner, alias Sting qui devait, fidèle à son patronyme, aiguiller ses comparses au fil des albums vers cet accomplissement stylistique, emphatique et psychotique, sur des terres dominées par les froides considérations de l’Industrie. Mais face à Police, nous avons depuis obtempéré.

The Police, Synchronicity (AM)

the-police-ssynchronicity.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=wbAOsW6iiKk

https://www.youtube.com/watch?v=Ccs2rt0oSzQ

 

 

 

 

 

 


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