Gaspard Royant, le feu et la classe

par Adehoum Arbane  le 26.04.2016  dans la catégorie A new disque in town

Il convient de dépasser le simple débat du revivalisme, ou même du vintage. Gaspard Royant s’affirme comme un styliste accompli, point. Le constat, flagrant, explose à chaque seconde de son deuxième effort, Have You Met Gaspard Royant ?, dont l’adresse reste de manière fort habile dans les mémoires, comme un rappel. Tout dans ce disque, des morceaux jusqu’à la pochette, parle de son amour pour ce que l’on appelait naguère le « bel ouvrage ». On pourrait éventuellement parler d’écriture s’agissant de ses chansons, bien entendu c’est ici le cas, mais il serait plus juste d’invoquer le geste, à l’image de l’artisan. Gaspard Royant s’attache ainsi à produire une musique qui soit incarnée, mais à mille lieux des pasticheurs impénitents, il englobe son travail de songwriter dans une démarche globale. Celle-ci touche les détails les plus infimes que l’on retrouve d’abord dans ses chansons, Getaway le single mais aussi New Religion ou le primesautier Cutest In Town, plus ouvert, moins fondamentalement rock’n’roll. Aussi étonnant soit-il, on arrive à oublier que derrière ces quelques exemples, comme du reste l’ensemble des morceaux, il y a des orgues vrombissants, un tambourin facétieux, ce son qui est un peu le graal après lequel courent tous les professeurs Jones de la pop. Chacun de ces éléments s’efface au profit du frontman. Le mot n’est pas anodin. C’est précisément là où il envoie dans les cordes de l’Oubli bien des musiciens, leur farfisa et leurs coupes au bol avec. Pour cette caractéristique, tenace, éclatante, si personnelle, sa présence même, la voix bien sûr mais bien au-delà le charisme dont le rockeur fait preuve. Avec ses airs de Sean Connery des sixties, gueule iconique et classe à tous les étages, de la pointe des lunettes noires étincelant dans la nuit live jusqu’aux pompes aussi agiles que des crans d’arrêt, Gaspard Royant fait ressurgir plus de cinquante ans d’Histoire pop au sens le plus large du terme, du Hollywood mariachi aux gangs garage des rues poisseuses de NYC, en passant par les orchestres à cuivres de Birmingham, Edimbourg, Cardiff. Mieux, il arrive à damer le pion à ses contemporains faussement épris du passé, et trop occupés à savoir s’ils vont mettre tel synthé ou tel jeans à ourlet. C’est en concert que l’on prend la pleine mesure de sa contribution. Gaspard Royant revient aux origines du rock’n’roll, non pas en poussant la porte du simple copiste – même s’il voue un culte quasi religieux aux productions d’antan, amples et généreuses –, mais en ressuscitant son esprit. Le rock restera pour l’éternité une musique taillée pour danser, la bande-son de la jeunesse, un gimmick à ne jamais prendre au sérieux, un langage universel dont le spectre va de Elvis aux Stooges. Comme à l’époque où les Beatles n’étaient pas encore les stars que l’on sait, qu’ils jouaient pour trois péquins dans des clubs miteux, entre Liverpool et Hambourg. Le rock, cette fête permanente bien avant les rave parties, une sorte de kermesse où se rejoignent ivresse et amour. Voir Gaspard Royant débouler dans la fosse, se mêler à ses fans, revenir sur scène et adopter des postures viriles de chicanos adorable vous plonge dans une sorte d’hystérie sensorielle. C’était le contrat de base du rock quand on était kid dans les années soixante : vous en donner pour votre argent, mieux vous offrir du rêve, arriver surtout à vous extraire de la banalité d’un quotidien pas toujours reluisant. On avait besoin de ça, de sentir dans ces caveaux, bourdonnants au rythme des Rickenbacker, LA VIE ! Qui peut aujourd’hui en dire autant ? À l’heure où la plupart des groupes se bornent à reproduire à la note près leurs albums. Qui arrive à remuer ainsi et les foules et les tripes, à générer une telle extase, un tel élan ? Gaspard Royant, et son groupe bien entendu. Car s’il est le pivot, le point de convergence de tous les regards, la figure charnelle d’une musique profondément honnête, l’homme sait fort heureusement s’entourer des meilleurs. Toujours le collectif, cet état d’esprit qui a façonné plus d’un classique. En studio, cela commence par Edwyn Collins, rockeur à qui l’on doit A Girl Like You et qui est devenu entre temps un producteur estimé. Son travail a su conférer à Have You Met Gaspard Royant ?, au-delà de la patine, une densité remarquable. Une variété de tous les instants. Puis, il y a le groupe, le combo. Ces hommes-là ont cette passion, ce feu, cette dévotion et cela s’entend ! De l’organiste fou, Léo Cotten, à la section rythmique efficacement soutenue par Julien Zanetti à la basse et Pierre Durand aux baguettes, en passant par l’énorme Laurent Blot – l’homme derrière Eldia, créateur de This Summer Is Lost, ce chef-d’œuvre pop générationnel. C’est un vrai plaisir que de le voir à l’œuvre, de canarder ses soli avec l’aisance et la sensualité d’un Hendrix des temps nouveaux. Et quand il tire les pop songs sucrées de Gaspard Royant vers des confins presque métal, saturés d’électricité, on comprend mieux ce que le rock signifie. Du feu et de classe.

Gaspard Royant, Have You Met Gaspard Royant ? (Epic Jive/Sony Music)

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http://www.deezer.com/album/12384288

© Julien Bourgeois

 

 

 

 

 

 

 

 


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