Disons-le sans ergoter. Currents est à Tame Impala ce que Breakfast In America fut à Supertramp. Maintenant que le débat est posé, il serait sage de dissiper tout malentendu. Il ne s’agit pas de prétendre que les albums sonnent de la même manière, qu’ils empruntent la même autoroute inspirationnelle, non. Au-delà même des années qui les séparent, de leurs styles respectifs, c’est dans leur démarche intrinsèque et, plus largement, dans le parcours des groupes, que la comparaison s’avère pertinente. Revenons aux sources des deux mythes. Supertramp comme Tame Impala sont, à leurs débuts, des formations relativement mineures dans un océan pop dominé par les grands paquebots. Lorsqu’ils sortent chacun leur premier effort, les relais de la critique demeurent modestes, surtout pour Supertramp qui prit le temps de trois albums pour amorcer son décollage. L’impression de rejouer le match entre David et Goliath est également renforcée par leur identité et les stratégies de carrière dans leurs viseurs. Supertramp, des anglais débutant timidement leur trajectoire sur des notes progressives, espèrent en l’Amérique, terreau des self-made-men et pourquoi pas des self-made-bands. Ainsi rêvent-ils – concept très américain – de conquérir les ondes. Localisé aux antipodes, c’est-à-dire en Australie, Tame Impala prend le train du néo-psychédélisme après MGMT, autant dire après tout le monde. Son leader, Kevin Parker, n’en demeure pas moins conscient de son potentiel et accélère en trois Lp seulement sa mue vers des territoires plus mainstream, comme le fit d’ailleurs Supertramp en cette fin de décennie soixante-dix. C’est là le point de convergence des deux formations, si différentes dans la forme, si proches dans le fond. Pour Supertramp, l’horizon s’éclaircit en 1974 avec Crime Of The Century – qui devient disque d’or en 75 –, succès qui se confirmera plus modestement avec Crisis ? What Crisis ? qu’il enregistre à Los Angeles, et surtout avec Even In The Quiestest Moments – second disque d’or. Puis vient Breakfast In America. Ce n’est pas une consécration, mais un sacrement. Rick Davies et Roger Hodgson, les deux leaders et songwriters, n’ont rien laissé au hasard : l’album est garni de tubes incroyables. L’écoute en devient même vertigineuse. À Gone Hollywood succèdent The Logical Song, Goodbye Stranger et Breakfast In America, auxquels il faudra ajouter Take The Long Way Home et, last but not least, le grand final somptueux de Child Of Vision. Les autres chansons, moins importantes, n’en sont pas moins bonnes. Leur perfection formelle donne à l’ensemble un accent universel. Supertramp prouvant au passage que l’on peut écrire des chansons splendides et exigeantes artistiquement parlant, et en même temps immédiates. Pour ne pas dire commerciales – le mot n’était pas honteux en cette époque bénie. Quelques décennies plus tard, Tame Impala réalise en quelque sorte un tour de force identique avec Currents qui voit le jeune musicien embrasser l’idiome pop sans rien céder de son talent de songwriter et de bidouilleur. C’est par Let It Happen que – sans mauvais jeu de mots – tout arriva. Ces sept minutes et quarante-sept secondes là sonnent comme une évidence. Et ont fait de ce morceau jouissif un hymne total. Hédoniste écriront certains. Pas faux. Le reste de l’album est au diapason qui offre son petit lot énervant de classiques imparables. Qui s’est réellement remis de Yes I'm Changing, Eventually ou Cause Im a Man, chefs-d’œuvre indolents baignés dans une mer de claviers scintillants ? Levez la main ! À l’image de Breakfast, les autres titres possèdent aussi leur ticket pour l’éternité comme The Less I Know the Better et Reality in Motion, aussi vicieux que radieux ou The Moment, dont le thème se déplie comme un kaléidoscope en gif animé. Dernier concordance qui pourrait passer pour anecdotique : nous nous trouvons faces à deux formations qui ont, par l’entremise d’un album, consacré un instrument phare. L’instrument signature. Certes, Supertramp n’a pas attendu Breakfast In America pour faire du piano électrique Wurlitzer l’élément clé de son crédo musical. Mais c’est sur celui-ci, et plus particulièrement sur The Logical Song, qu’il s’épanouit tout de go. Chez Tame Impala, on voit plus large, ce sont les synthétiseurs qui se taillent la part du son. Ils sont partout, omniprésents, omnipotents, redessinant les contours d’une musique pleine et entière, solaire. C’est aussi la façon dont Kevin Parker les incorpore, les triture et les fond comme un or fin, qui extrait Currents de la nasse de la production contemporaine, si souvent datée. Enfin, ce n’est pas un hasard si le piano s’imposa, à contrario de la guitare, comme le compagnon d’aventure idéal du compositeur pop. De Brian Wilson à Randy Newman, de Billy Joel à Ben Folds, de Supertramp à Tame Impala. Dans l’histoire de la pop tout est lié.
Supertramp, Breakfast In America (A&M Records)
https://my.mail.ru/mail/tvemaksim/video/9854/9849.html
Tame Impala, Currents (Interscope)
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