Rock’n’roll suicide

par Adehoum Arbane  le 29.02.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

Comme pour la vie, la mort est intimement liée à l’histoire du rock. Ce fut d’abord les morts subites, précoces, forcément injustes. Buddy Holly, Otis Redding. Puis le fameux club des 27 inauguré par Brian Jones, suivi du trio infernal Hendrix, Joplin, Morrison. Mais là, les choses sont différentes. Ce nouveau cycle funèbre a commencé le 4 décembre 1993 avec le décès de Zappa, pour se poursuivre le 9 aout 95 avec celui de Jerry Garcia. Mais cela n’était qu’un prologue. Les années 2000 marquent la confrontation entre deux visions de la mort, deux slogans. D’un côté Rock’n’roll Suicide, de l’autre Rock is Dead. La disparition de David Bowie, fut-elle symboliquement pire, n’est pas tant différente de celle de Lou Reed, de Ron Asheton, de Ray Manzareck et bien d’autres. Même la mort a ravi Shankar. Imaginons un peu les années qui vont suivre, avec leur cortège de mauvaises nouvelles. Neil Young nous a quitté. Paul McCartney n’est plus. Adieu, Mick Jagger. Keith Richards, rest in peace. Salut, Randy Newman. Bye-bye Bob Dylan. Comme une pierre tombale qui roule une dernière fois, à terre. Personnellement, je n’ose imaginer le jour où je lirai « Robert Wyatt est parti ». Et pourtant. Ce jour arrivera, inexorablement. Écrire au sujet de la mort n’est pas tant une forme de narcissisme visant à s’inscrire aussi dans cette grande histoire de la pop music. Ce n’est pas plus une sympathie pour le diable, encore moins une passion coupable pour ce mot horrible, tourné mille fois en bouche, le pathos. Même si nous n’avons pas tous connu cet âge d’or du rock que  furent les sixties/seventies – je ne passe pas sous silence l’importance des décennies à venir –, ces deux-là se hissent malgré tout au dessus. Et la perte de leurs grandes figures tutélaires s’avère un déchirement, une blessure. Bowie ne fait pas exception à la règle qui avait su, contre vents et marrées, survivre aux époques – quelle leçon – avec plus ou moins de succès – et parfois quelle déception – mais il était toujours là, présent, tapi, en embuscade. Certes, toute son œuvre n’est pas du même tonneau, il y a des disques difficiles, inégaux, des périodes que je ne peux aimer pour ma part, mais on lui doit malgré cela quelques albums substantiels, certains parfaits d’un bout à l’autre, et des chansons, de grandes et majestueuses chansons. Une me revient à l’esprit – ma préférée ? –, Starman. De ces mélodies qui vous lessivent de l’intérieur et vous plongent à nouveau dans les tourments de l’adolescence, même une fois devenu un adulte. Oh, je pourrais en citer quelques autres comme Moonage Daydream, Space Oddity, Velvet Goldmine, The Man Who Sold The World, After All, Life On Mars, The Bewlay Brothers, Heroes, Come And Buy My Toys ou, découverte plus récemment, Lady Grinning Soul. Passons sur le mythe de l’artiste total, qui sut se réinventer. Certes, Bowie endossa les identités, les surmois pop aussi aisément qu’une main manucurée se glissant dans un gant de velours. Il le fit non sans talent, sans audace mais avec un sens aigu de la mise en scène, du marketing dirions-nous aujourd’hui. Dans la nuit de l’inspiration surgit de sa tête casquée d’orange, comme une étincelle rouge et bleue, cette idée folle : le rapport créature/création. Sa musique suivit bien-sûr cette mue perpétuelle, peut-être notre regard a-posteriori a-t-il sur-joué sa dimension exceptionnelle, voire quasi divine, car il existe dans ce grand élan qu’est la carrière de Bowie des périodes fascinantes mais parfois inégales, des œuvres intouchables dont on pourrait rediscuter la prééminence. Je pense à la trilogie dite Berlinoise. Au fond, c’est une affaire de goût. Aimer cette trilogie n’étant pas, non plus, une marque de mauvais goût. Cette force qui va toujours de l’avant, ce besoin de renverser la table à chaque album est surtout le symbole de deux décennies indépassables et, par jeu de miroir, celui de l’inertie de notre époque qui produit si peu de vrais talents – il y en a pourtant. David Bowie, d’un avatar à l’autre, de Lp en Lp, se veut le récepteur d’une créativité à bride abattue, des sixties scintillantes jusqu’au seventies punk et glaciales. Au passage, notons qu’avant lui, Alice Cooper comprit l’importance du visuel, du masque, de la figure hybride et symbolique comme paravent de tous les fantasmes rock ; Ce dernier demeurant sans doute le premier inventeur du glam et au-delà, de la théâtralité appliquée au rock. Ces albums sont des modèles de production tout en conservant leur caractère sauvage, tranchant, juvénile. School’s Out, Billion Dollars Babies comme d’autres Ziggy, des Aladdin parallèles. Mais au diable la polémique, Bowie appartient à la première division, avec Dylan, Young, Hendrix, Macca-Lennon, Pink Floyd, Stones et si peu. Panthéonisable et donc éternel. Cette éternité qui lui vaut d’être cité sans que l’on soit accusé de penchants nostalgiques, car la mort a cette vertu qu’elle propulse un artiste dans un temps figé, permanant et qui lui survivra. David Robert Jones, ce génie. Malgré l’horreur de The Beauty & The Beast, malgré le long tunnel des eighties, malgré la solitude des années deux mille. Malgré l’incertitude critique planant sur Blackstar qui reste, maintenant, indissociable de la légende. Malgré la rumeur médiatique, le tumulte mondain, la folie amoureuse des fans éplorés. Malgré Bowie, lui-même. Son premier Mister Hyde. 

 

 

 

 

 

 


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