Martin Circus, les marrants de l’an II

par Adehoum Arbane  le 01.02.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

En 1971, lorsque Martin Circus publie son deuxième effort – et quel effort ! –, baptisé sobrement Acte II, le groupe progresse sans changer de cap. C’est là sa grande force. Loin des Ange, Mona Lisa, Atoll qui s’évertuent à jouer les copistes d’un prog, anglais à l’écrasante majorité, Martin Circus approfondit la musique initiée sur En direct du Rock’n’roll Circus. Soit un rock efficace mais sans cesse imaginatif. Surtout, jamais il ne cède aux sirènes de la mode, des codes soufflés en catimini par les grandes formations comme Genesis ou Yes. Point de suite à tiroirs plus ou moins indigestes. Non ! Les Martin préfèrent les morceaux courts, saillants, verticaux ; seul Poème atteint les huit minutes tapantes. Mais revenons à l’Histoire. Alors que le line-up de la première époque – 69, 70 – se dissout comme un rêve, Brault et Pisani recrutent parmi la crème des musiciens jazz et rallient à leur cause René Guérin aux fûts, Sylvain Pauchard aux claviers, Alain Pewzner à la guitare solo et Gérard Blanc au chant. Chaque musicien apporte à Martin Circus sa solidité technique. C’est sur ce socle que Brault et Pisani vont asseoir leur leadership, car c’est bien eux qui composent la quasi-intégralité des chansons de ce second chapitre. Je M’éclate Au Sénégal, c’est eux. À Dada Sur Paranoïa, c’est encore eux. Pourquoi Tous Ces Cris, toujours eux. Parfois, ils brisent la force tendue de leur couple pour écrire avec d’autres comme sur Ouvrez Vos Mémoires, Poème, Façon De Parler ou J’aimerais Bien Te Faire Flipper Un P’tit Peu. Signé chez Vogue, entrant en studio dans la foulée, Martin Circus donne la pleine mesure de son ambition mais en restant dans un cadre délimité, connu, celui de la pop song. L’équilibre de ce double album dantesque, révolutionnaire – « Y’a pas de doute, on est bien en France » affirmerait, prophétique, Depardieu – tient dans la cohabitation presque hasardeuse entre musique franchouillarde et passages épiques, mélodiques, profonds. C’est cela Martin Circus. Derrière cette tentation populaire il y aussi la facilité à délivrer des standards, disait-on. Écoutez l’élasticité de Je M’éclate Au Sénégal, cette ensemble guitare-orgue-sax qui attend en embuscade, prêt à exploser. Le tout après une intro baba, mais bien troussée. Et puis ces paroles traversées de jeux de mots, la fameuse « copine de cheval », qui font glousser mais qui toujours convertissent jusqu’aux plus récalcitrants. Au-delà des pochades, on trouve aussi de belles choses, J’ai Perdu qui oscille entre mélancolie et virulence sur le refrain ou bien Images aux climats oniriques. Mais à chaque fois, Martin Circus donne le primat au rock, dans son incarnation la plus brute, ici la guitare n’oublie jamais la wah-wah, l’orgue reste hammond, jamais de synthés ni de mellotron. C’est sans doute cette singularité revendiquée qui tranche dans un pays, la France, qui se cherche face au Monde Pop mais pas que, un monde tout à la fois psyché, prog, soul, funk, hard, folk, country, et dont les frontières s’étendent jusqu’au jazz fusion des héritiers de Miles Davis. Concurrence inquiétante qui n’empêche jamais Martin Circus de briller. Il n’en a cure, préférant épaissir son propos. Ici en studio, les cuivres prennent le dessus, entremêlés sur Chevauchée Fantastique quand ils sonnaient brandebourgeois sur le précédent titre, le très touchant Pourquoi Tous Ces Cris. Le baroque, en plus du rock. Voilà l’option, le filigrane qui sourd à chaque minute. Si l’on osait les comparaisons, bien que celles-ci soient souvent hasardeuses, nous dirions que Acte II est en quelque sorte le Absolutly Free des Martin, qui furent eux-mêmes les Mothers français. D’ailleurs, les musiciens n’ont jamais caché leur admiration pour leur maître à moustache. Plus que le mimétisme de Gérard Blanc sur la pochette, la geste zappaïenne est ici partout, dans les soli de guitare, dans les cuivres, dans la dimension ludique d’expressions typiques comme « Le jus d’étrange est au frigo » dans le magnifique À Dada Sur Paranoïa qui poursuit sur un ultime clin d’œil, « Assis sur les water-closets, Frank Zappa reprise ses chaussettes ». Si Je M’éclate Au Sénégal s’écoule à 800 000 exemplaires, l’album, lui, reçoit le Grand Prix de la Pop Music française le 2 janvier 1972, au Golf Drouot. C’est alors que le groupe, fort de cette nouvelle reconnaissance, amorcera son virage variét’, enchaînant les succès commerciaux mais oubliant ce qui avait fait sa magie, l’avant-garde et l’humour. Nous, les fans éplorés, sommes devenus les spectateurs d’une atroce comédie que nous ne voulions pas voir jouer. Il ne resterait plus qu’à repasser Acte II, En direct du Rock’n’roll Circus, à replonger dans les seins offerts, ouverts de notre copine de cheval, de danser au son des tams-tams Woodstock. Bref, d’ouvrir nos mémoires.

Martin Circus, Acte II (Disque Vogue)

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https://www.youtube.com/watch?v=0ykhV35BJgo

 

 

 

 

 

 


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