Et si le nihilisme était la meilleure preuve qu’un album de rock est bien ce qu’il prétend être : rock ? Après leur très remarqué premier essai, le si coquettement nommé Champagne Holocaust, la Fat White Family récidive avec une deuxième tentative. Rien que l’impossibilité de nommer la chose en dit long sur l’étrangeté de ce Songs For Our Mothers. Difficile aussi à situer sur une cartographie musicale, quelle qu’elle soit. Sont-ils américains comme le laisserait présager la dureté, l’aridité, voire la dégueulasserie de la musique, ou plutôt anglais comme le raconte leur biographie, détail qui s’avère pourtant exact. Inclassables jusqu’au bout de leurs ongles sales, et enfin jusqu’à leur nom qui renvoie à un imaginaire macabre, on songe ainsi à la sordide histoire de la famille Gein inspiratrice du non moins sordide The Texas Chain Saw Massacre. Parallèle peut-être incongru mais qui se confirme largement dans les options retenues par les musiciens, notamment sur le ferreux et malsain Duce. L’affaire avait de toute façon bien mal commencé. Whitest Boy On The Beach sonnant comme une sorte de Django Django du pauvre, son étouffé, voix mixée en arrière sur un semblant de bourdon électronique à filer le bourdon, donc. La suite n’est guère plus enthousiasmante qui ressemble à s’y méprendre à une entreprise de suicide artistique, le tube – ? – Satisfied et le rock de ferrailleur, non moins drogué, Love Is The Crack en font l’implacable démonstration. Il se dégage de cette première partie une pesanteur collante, comme si nos membres, et notre esprit critique avec, se retrouvaient embourbés dans la mélasse d’une musique idiote, sans nuance ni lueur. Lebensraum la referme sur une note, pas moins pénible, peut-être plus heureuse et encore. En est-on si sûr ? Non content de saborder leur projet, d’échouer volontairement leur navire démâté sur les récifs de la radicalité, la Fat White Family repart de concert sans rien craindre : même pas peur de l’impopularité, de la censure des radios, pour ne pas dire leur calme mépris, ni des ventes abyssales auquel l’album est inévitablement promis, pas plus que la fin des vie qui les guette, dans les bacs à solde des refourgueurs de mauvaises cames. L’entrain de Hit Hits Hits ne renversera pas la vapeur, loin s’en faut. La rythmique habile de Tinfoil Deathstar, lorgnant presque du côté de Joy Division n’inversera pas la tendance, la gentillesse de When Shipman Decides – teintée d’humour Looney Tunes – ne relancera pas leur carrière. Trop tard ! Et We Must Learn To Rise d’enfoncer le clou de leur tombeau, sous des tombereaux d’électricité et de trompette blafarde. Ne parlons même pas du mauvais goût affiché de Goodbye Goebbels qui ferait passer ces rockers innocemment tonsurés pour de vulgaires nazillons. Et pourtant, ET POURTANT… Malgré tous ces avertissements, comme si nous avions affaire à un poison acide dilué dans l’ambre d’une vieille fiole de whisky – Street Trash, sors de cet album ! –, l’œuvre ne manque pas d’intérêt. Nous dirons aussi que c’est la fadeur la plus absolue qui confère à ces Chansons pour nos mères une originalité notable, dans un paysage musical et créatif relativement atone. Avec sa musique impotente, ses mélodies ventripotentes et son petit côté lo-fi bouffon, le sextet anglais tranche dans le lard de la production contemporaine et livre Songs For Our Mothers, cet album détestable, ignoble, décousu, bordélique, au son tantôt gras, tantôt rouillé comme un vieux silo à grains, mais finalement, et d’une certaine façon, bougrement attachant. Voire même convaincant. Voire, voire foutrement génial. Un album qui au-delà de sa valeur propre, de la force – plus ou moins accessible – de ses compositions – là encore, gros point d’interrogation –, correspond merveilleusement à l’air du temps. Un air saturé de doute, de sauvagerie et de peur, une époque plus trop formidable – malgré d’indéniables splendeurs –, qui pousse aux comportements les plus déviants, les plus inutiles, au nihilisme donc. Mais à tout bien réfléchir, en y songeant entre deux déflagrations zarb’ : au fond, contre la barbarie qui ne dit pas son acronyme, La Fat White Family réunit peut-être les combattants dont l’Occident a tant besoin.
Fat White Family, Songs For Our Mothers (Fat Possum)
http://www.deezer.com/album/12214000
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