Chansons adultes d'un Benjamin de la pop

par Adehoum Arbane  le 25.01.2016  dans la catégorie A new disque in town

J’avoue avoir été touché par Night Music, Love Songs de Benjamin Schoos. Littéralement terrassé. Malgré ses lenteurs, à l’évidence assumées. Malgré son petit côté Rock Bottom des temps modernes. Cet album porte bien son nom qui s’épanouit le soir, quand le monde est couché, quand, casque sur les oreilles, on accepte de errer entre demi-sommeil et rêve éveillé, hébété. Mais il ne faudrait pas rester en surface, dixit Le Grand Paquebot Va Sombrer. La surface des choses, l’écume des nuits donc, ce serait d’affirmer que ce disque est celui des retours d’after. Ce serait idiot, voire insultant. Night Music, Love Songs s’affirme, dans la discographie de Benjamin Schoos, comme l’album du lâcher-prise ; de la chute en arrière, heureuse, presque suspendue ; d’une musique tellement prenante qu’elle semble saisie comme un ciel en hiver. À ce titre la comparaison avec le chef-d’œuvre de Robert Wyatt demeure pertinente. Night Music, Love Songs, sept chansons, sept îlots, sept merveilles étirées, indolentes, belles d’abandon comme disait le poète. Au-delà même des images classiques qui nous viennent à l’esprit, qui se bousculent comme dans un toboggan d’émotions, ces nouvelles compositions décomposent l’espace, du moins s’y installent-elles et sur ce vaste terrain de jeu, la voix de Benjamin Schoos se promène. Derrière ces yeux enfantins qui transpercent la pochette, le timbre grave et plein, long, mais jamais soupirant résonne comme un écho dans une galaxie de sons, de couches, de strates sans jamais prendre le pas sur le chanteur, et le texte. On retrouve d’ailleurs avec un plaisir certain la plume de Jacques Duvall avec qui le musicien a déjà travaillé. Et celle, jusque-là inconnue de Dodi El Sherbini. Ainsi, de I Love You à Conducteur Fantôme, l’équilibre est parfaitement alchimique. Cette rencontre entre paroles et musique, avec son cortège de synthétiseurs, ponctués de cordes et de cuivres, ne provoque étonnement aucune nostalgie, aucune sensation de passéisme, mais au contraire, la singularité des titres forge leur dimension – le mot est juste – contemporaine, et inscrit l’œuvre dans son époque. Le détail compte mais ne fait pas fondation. Non, le grand paradoxe de Night Music, Love Songs tient à l’ouverture des chansons, toutes gravées dans un format court, moins de quarante minutes, mais offrant cependant suffisamment de matière pour que la fascination opère. Mais également à l’étrangeté de ces grands corps flottants, des esquifs sonores conçues presque toutes sans ponts, comme des outros perpétuelles. Comme des marches funèbres mais ardentes, comme des boléros de métal à l’exquise sensibilité, au goût de froideur douce, au charme indéfinissable. Revenons une minute à la pochette, on devine que l’artiste s’est habillé de costume, comme s’il voulait se réincarner en crooner merveilleux, en capitaine d’équipage mélodique sur ce Titanic musical qui ne sombre jamais mais qui hélas s’arrêtera à l’heure dite. On subodore que son auteur aura la classe de le suivre dans le néant des fonds bleus, ce monde du silence qui survient quand la dernière note a expiré. Pour affleurer dans un éternel recommencement. I Love You arrive en ouverture, calme et sexy, et l’on pense automatiquement à Angelo Badalamenti, aux sinueuses pellicules autoroutières de Lynch, au thème amoureux de Deckard et Rachel mais par pitié, ne tombons pas dans le piège de la pop cinématographique ! Pour réelles qu’elles soient, les images que ces chansons font naître prouvent à quel point la musique est incarnée, loin des coquilles vides synthétiques et conceptuelles que la décennie actuelle a l’habitude de nous vendre. Il faut écouter, même se représenter Une Fille En Or, la plénitude qui guette à chaque mot, chaque métaphore, chaque impression. Cette foutue élégance, cette combinaison qui fonctionne si bien et plus encore, on l’a retrouve sur le très beau Un Parfum De Nostalgie. Et sur Le Maître Du Monde qui ne parvient nullement à nous effrayer, à mettre une distance entre le personnage ainsi imaginé, et l’auditeur. N'enlève Pas Tout et Conducteur Fantôme referment cette parenthèse sur des points de suspension au piano, et la magie de durer encore un peu. Benjamin Schoos s’est littéralement métamorphosé. En artiste accompli, en musicien sobre, toujours exigeant. En grand ordonnateur d’une musique adulte, sérieuse, pénétrante mais encore rafraîchissante. Comme un dernier cocktail sur le pont du navire avant qu’il ne tutoie je ne sais quel glacier imminent. Qu’il ne disparaisse et fasse place à un autre chef-d’œuvre. Car celui-là en est un.

Benjamin Schoos, Night Music, Love Songs (Freaksville Record)

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http://benjaminschoos.co.uk/album/night-music-love-songs

https://www.youtube.com/watch?v=wRX67AG6uns

 

 

 

 

 

 

 


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