Souriez, Brian a concrétisé

par Adehoum Arbane  le 21.12.2015  dans la catégorie A new disque in town

Avec la récente sortie de Love & Mercy, l’occasion nous est donnée de reparler de SMiLE, le projet contrarié du génie des Beach Boys, Brian Wilson. Inutile de nous appesantir sur son histoire, la lutte amicale – sans coup férir ? – entre les Garçons de la Plage et les Scarabées qui débuta le 3 décembre 1965 avec Rubber Soul qui, dans une réaction en chaîne, engendra Pet Sounds dont la riposte anglaise fut Revolver que Brian Wilson vécut autant comme une claque qu’un défi et qui devait fatalement l’amener dans l’impasse SMiLE. Entre temps, sortait Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Fin de la partie pour le petit Brian qui sombra dès lors dans la folie pure et simple. Smiley Smile serait l’unique vestige d’une œuvre conceptuelle et démentielle qui, aux dires de son créateur, se voulait tout simplement une symphonie adolescente à l’adresse de Dieu, a teenage symphony to God. Seule Good Vibrations lui survivrait, connaissant même les honneurs des charts. Mais trop tard, le mal était fait. Quelques quarante quatre années plus tard, la publication des SMiLE Sessions donne un aperçu précis de l’œuvre originelle. En est-on si sûr ? Il faut remonter en 2004 pour découvrir le projet dans sa version la plus complète à ce jour. Et qui a pour nom, Brian Wilson presents SMiLE. D’ordinaire on aurait tendance à se méfier et voir dans cette relecture tardive, gravée oui monsieur pour la circonstance, l’un de ces caprices de vieux rockeur, pis des velléités de reformation. Il n’en est rien. Pour la petite histoire – dans la grande –, le projet a été réactivé par Brian Wilson d’abord sous la forme de concerts. Puis, lui vint l’idée légitime, naturelle, d’enregistrer la chose sur disque. Mais Brian décide de repartir à zéro. Il engage Darian Sahanaja, musicien et singer-songwriter féru de pop et fan des Beach Boys, écrit les parties qui manquaient à la première mouture, réunit un groupe comme à l’époque du Wrecking Crew et s’enferme en studio. Passons sur le processus d’enregistrement car là n’est pas l’essentiel. Non. L’écoute attentive de SMiLE dans sa versions définitive impose plusieurs constats qui, à l’heure où ce texte s’écrit, ont valeur de témoignage historique. Modestie mise à part. Malgré le caractère antédiluvien de la pop mainstream – qui sort encore des chansons du calibre de Cabin Essence, On A Holiday ou Wind Chimes ? –, SMiLE jouit d’une étonnante fraîcheur. Le fait qu’il soit réinterprété ne doit rien au hasard. Cette musique semble s’inscrire dans une forme d’intemporalité qui n’est pas liée à la seule idée de datation. Ainsi la question n’est pas de savoir si on est en 1967 ou en 2004 mais bien d’affirmer que les dix sept chansons vibrent et vibreront toujours du même éclat. Comme un corps dont le temps n’aurait pas altéré la beauté. Mais pourquoi ? C’est dans les concerts – donnés avant et après la sortie de SMiLE – que l’on trouve la réponse. L’œuvre y est revisitée à la note près, et l’on a voit bien que Brian Wilson incarne davantage que la traditionnelle figure du musicien rock. C’est un véritable compositeur au sens classique du terme, un méticuleux chef-d’orchestre dont les gesticulations maniaques ont dû rappeler à certains les sessions d’enregistrement de Pet Sounds à l’époque où le jeune maestro entendait littéralement les chansons dans sa tête. En poussant la réflexion plus loin, on peut dire ceci : SMiLE dépasse de loin le concept, pourtant vaste, de musique populaire à proprement parler dans la mesure où il peut se lire sur partition. À l’image des grandes symphonies, des opéras ou des requiem il s’agit d’une œuvre pensée et composée dans les moindres détails. Et qui ne laisse aucune place au hasard, à la dissertation. Pour s’en convaincre, il faut revoir les captations filmées (en faisant abstraction des visages affaissés, des silhouettes boursoufflées de musiciens ayant pris en âge). En effet, il est passionnant de voir Brian à l’œuvre, levant le bras pour lancer une section de cuivres, tordant l’autre pour envoyer une pluie de cordes, de piccolo et autre glockenspiel. Il n’existe pas dans la production pop contemporaine pareil exemple. Peut-être Zappa donnait de telles performances (il écrivait ses morceaux à la plume, sans se donner la peine de les jouer), mais elles s’appliquaient à un rock plus intellectuel, proche du jazz et des musiques savantes qui avaient les préférences du compositeur. Ici, on est dans la pop la plus racée, avec couplets et refrains, des choses immédiates et qui procurent fort logiquement un plaisir tout aussi spontané. Enfantin ! Mais aussi dans la musique la plus exigeante et qui pourrait, chose rare, aisément se transmettre, inspirant des générations de pianistes pop. Ainsi, dans cent ans, des années après la mort de Brian Wilson, on pourra rejouer SMiLE à l’identique, même y apporter des variantes, voire des variations – ralentir tel passage, enrichir un segment d’instruments nouveaux – et retrouver cependant les mêmes splendeurs, la même innocence. Le même sourire.

Brian Wilson presents SMiLE (Nonesuch)

smile_1.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=8UbNwhm2EX8

 

 

 

 

 

 


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