Il y a dans l’histoire du rock un épiphénomène – peu relevé par définition – appelé l’identification qui appartient en vérité au registre le la psychanalyse. De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’un groupe essayant de sonner comme s’il était originaire d’un autre pays. Un exemple typique et pour le coup connu de tous, America. Ces clones sympathiques de CSN&Y ont toujours été fascinés par la pop anglaise, tant et si bien qu’ils choisirent George Martin comme producteur unique – accompagné du fidèle Geoff Emerick – à partir de Holiday, leur quatrième album paru en 1974. L’effet dit de l’identification intervient de même chez Help Yourself – surnommé The Helps par leurs quelques fans –, formation mineure ayant pourtant joliment ouvert les seventies avec un premier Lp dont il est question ici. Mais peut-être de façon plus profonde, plus radicale qu'il n'y paraît. Malgré l’artwork de leur premier effort éponyme – le paysage tolkienien, les petites filles modèles et autres petits lords Fauntleroy, les montagnes en forme de friandises –, la musique, elle, a tourné le dos au folk anglais, charmant et enfantin pour épouser les canon d’un rock de prime abord rural. C’est en tout cas dans ces nouveaux habits qu’il se présente dès le premier morceau, I Must See Jesus For Myself. Adieu la finesse des rêveries britanniques de musiciens antiques comme Nick Drake ou Duncan Browne, Help Yourself joue les transformistes non sans talent ni crédibilité. Car il faut se pincer pour ne pas voir en Your Eyes Are Looking Down ou Paper Leaves des démos oubliées de Neil Young. Tout y est, les rythmiques, la guitare ancestrale et bien évidemment la voix, sans parler de l’accent. Troublante est l’impression d’autant que les deux chansons se ressemblent à s’y méprendre, comme si l’une était la suite logique de l’autre, son prolongement naturel. On trouve également, garnissant la tracklist, des titres à la tonalité tantôt échevelée, on citera Running Down Deep, tantôt hippie cool comme sur le très country Look At The View. Street Songs joue à fond les codes de la chanson de singer-songwriter américain, entièrement dominée par le piano et surlignée de quelques motifs de guitare électrique tout en arabesques. Si l’on ferme donc les yeux, on se laisse prendre par cet attrape-nigaud musical, comme un touriste avec une contrefaçon. Il faut ainsi réécouter l’album et débusquer, entre deux copies, un morceau, un traitement, une idée rattachant Help Yourself à sa terre natale. Ils sont au nombre de trois. Tous ont en commun cette fragilité gracile, cet art de la dentelle qui caractérise tant la pop anglaise. Ce sont peut-être aussi les chansons les plus prenantes du Lp, à savoir To Katherine They Fell, Child Man et Deborah. Chacune possède sa propre mystique. To Katherine They Fell d’abord, parce qu’il s’agit peut-être de la première femme citée, nostalgie pour les usages et manières de la vieille Angleterre. Une mélodie relativement simple s’affranchit de l’apesanteur par l’entremise d’une batterie aux respirations intrigantes et d’une guitare – la même –, tissant des notes irréelles. On est presque dans le cantique, tradition qui irrigua les musiques populaires d’Albion. Child Man est plus ambigüe. Elle s’apparente à une ballade, de celle que Crosby, Stills & Nash aimaient écrire et interpréter lorsqu’ils débutèrent leur aventure discographique. Le premier couplet ne commence-t-il pas par ces mots prophétiques, plus simplement révélateur : « Old man, how do you feel ? » Pourtant on ne peut s’empêcher de songer ou, tout du moins, de percevoir des choses plus subtiles qui sont la marque de la folk made in UK. Sans doute parce que les bardes californiens précités ne cachaient pas leur admiration pour les quatre de Liverpool dont ils furent, marketing oblige, la réponse américaine assumée. Deborah, enfin. Extrême dénuement, voire nudité du titre, dans tous les sens du terme. Une voix, un piano, une chanson. Une supplique devrait-on dire. Les accents rustiques sont loin. L’émotion, juste à quelques encablures. Sur la fin, des arpèges viennent ramener Deborah sur les rivages du nouveau monde dans un crescendo hanté. Élégance british, cool états-unien. Où est la vérité ? À n’en point douter un peu des deux côtés. On oublie là d’où l’on vient et puisque le rock américain des années soixante-dix se fait un plaisir de revisiter ses racines, les musiciens de Help Yourself ont gardé en mémoire, dans un coin de leur tête, le pays qui les a vus naître. Avant d’oser le grand saut. L’année d’après et un disque plus tard, le groupe écrira cette chanson qui ne fait guère plus de doute sur ses intentions, morceau manifeste de sept minutes et quarante neuf secondes, American Mother. Pour savoir pour qui leur cœur bat vraiment, il faudrait quelques longues années d’analyse. Et pas que rock critique, cela va sans dire.
Help Yourself, same title (Liberty)
https://www.youtube.com/watch?v=n5KNYRa6uYk
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