On se souvient de la célèbre sentence de Nietzsche, « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », en ouverture du Conan de John Milius. Manière de dire que les plus persévérants seront à la fin gagnants. H-Burns semble être de cette trempe-là. Seize ans maintenant qu’il sillonne les autoroutes, pourtant balisées, de l’Americana en vieux routier fidèle, de disques en premières parties, de concerts en tête d’affiche jusqu’en studios, pour y graver quelque projet plus ambitieux. Nous y voilà. Night Moves. Bien qu’il soit l’un des artisans français les plus respectables, connaissant son rock américain sur le bout des doigts – à force d’écouter son Dylan, son Springsteen, son Neil Young son Elliot Smith aussi, cela s’entend –, l’homme aurait pu se perdre, s’effondrer ou tout simplement disparaître dans la faille invisible mais béante de la page blanche. Night Moves montre le contraire et avec quelle grâce ! Avec quel sens de la musicalité, en allant chercher cette foutue modernité, imprécation médiatique et artistique ultime et parfois vaine, qu’il rapporte et injecte jusque dans les moindres recoins de son inspiration pour la tordre, la fondre dans son propre creuset. C’est le miracle et la vertu première de ces onze chansons magnifiques, magnifiquement inspirées, tendues et droites, frayant malgré les vents contraires que l’on voit battre ces palmiers floridiens sur la pochette un chemin de lumière. D’espoir. Quelques lignes de synthés, discrètes mais omniprésentes, transforment cet essai en indéniable réussite musicale, que l’émotion vient immédiatement contaminer. On n’avait pas été prévenu, et on tombe comme ça sous le charme, on sombre dans cet album qui cache, au fil des titres, d’autres dimensions. Il y a aussi cette bass drum, lancinante pulsation qui fait le récit de ce Night Moves décidément plein de surprises. Et puis, venons-en au fait, à H-Burns alias Renaud Brustlein, l’homme derrière le groupe, le singer-songwriter comme on disait à l’époque de Laurel Canyon, de Bleecker & MacDougal. À l’écouter, sa voix, ses mots, on sent chez lui, EN LUI, un profond et pénétrant respect pour ses pairs dont il prolonge l’œuvre à travers la sienne, sans tenter de les imiter – ce serait ridicule – et donc en trouvant son expression ultime, sa seule vérité. Cette attitude, artistiquement et humainement parlant, relève du courage absolu, d’emprunter une autre direction, de l’accepter même ! Alors que la nouvelle garde réinvente la pop chantée en français, H-Burns continue lui d’explorer le mythe d’un rock légendaire, en y ajoutant ce qu’il faut d’inventivité pour ne pas muséifier cette musique, si particulière. Le musicien a les codes, il les sublime ici par la qualité de ses chansons, leur touchante intégrité, et la force de l’interprétation dont il faut noter qu’elle ne serait pas une réalité sans un groupe soudé, des compagnons de route qui se connaissent, se comprennent et s’acceptent. En résulte un album remarquable aux compositions invariablement puissantes. Il faudrait toutes les citer, qu’elles s’inscrivent dans le registre de la ballade comme In The Wee Hours ou dans la tension onctueuse et crépitante du morceau titre. Dans ce grand déversement de sensations éminemment charnelles, Big Surprises vient créer une sorte de répit salvateur, livrant au passage un hommage transi et bouleversant à Elliot Smith. Dans ce nouveau répertoire, H-Burns réserve aussi des moments solaires cependant teintés de douce mélancolie. Ainsi s’épanche sobrement Wolves avec ses guitares vibrantes et ses chœurs de verre. On trouve aussi sur des titres comme Silent War, Signals ou Radio Buzzing de beaux claviers tout en grondements étouffés, comme des bourdons lointains. L’inventaire pourrait être éternel tout comme ce disque somptueux d’un artiste accompli et hors du temps, des modes, des courants, et qui par ténacité est en train de livrer une Œuvre – cela commence par celle-ci, les précédentes et les suivantes – au rayonnement intemporel. Et dans un contexte de redite, de hoquet conceptuel, à l’aune d’une décennie mirant dans l’onde du passé pour mieux tenter de se réinventer, la chose n’est pas anodine. Comme si la pierre de Night Move avait généré ces rides fluides et circulaires. En un mot : un mouvement.
H-Burns, Night Moves (Vietnam – Because)
http://www.deezer.com/album/9464648
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