King Gizzard, c'est pas du pipeau

par Adehoum Arbane  le 30.11.2015  dans la catégorie A new disque in town

Pour enrayer l’inéluctable déclin du temps présent, pour cataplasmer le pessimisme ambiant, sortons patchouli et autres vieilleries hippies ! On pourrait croire à une boutade et pourtant. Surgi tout droit des antipodes, le collectif melbournien King Gizzard & The Lizard Wizard a osé l’inimaginable : proposer pour ses nouvelles chansons tout un catalogue d’instruments antiques, sitar, flûte, tablas, clarinette et l’imagerie psyché qui va avec, comme en témoigne le morceau titre, Paper Mâché Dream Balloon. La musique que le sextet – le Dead serait-il passé par la là ? – propose ne se veut pas tant revivaliste que cela, en vérité, elle s’impose par sa clarté intemporelle, sa fraîcheur vivifiante, sans trop user d’effets connotés, ni avoir la prétention de nous emmener dans on ne sait quelle décennie psychédélique qui pourtant nous vient facilement à l’esprit. Non, la vraie force de cet album réside dans la dimension courte, éphémère de ses chansons, comme s’il s’agissait d’une pochade sans conséquence ou plutôt, d’une parenthèse joyeuse, positive dans un quotidien de ténèbres. Rares sont les morceaux dépassant la barre des deux minutes et quelques – on en compte trois – de sorte que la musique de ces roitelets du psyché se boit d’un trait, sans temps mort, parfois même sans transition comme le suggère si habillement la première face. Car le psychédélisme peut s’avérer un méandre dans lequel la perception s’englue telle la mouche dans la toile d’araignée. D’ailleurs, dans le corpus des musiques acides dont l’Amérique fut le plus puissant incubateur, on trouve toujours de ces groupes qui vécurent les paradis artificiels, en gros sans les paradis mais bien avec l’enfer, celui du BAD TRIP ! L’expression même sonne comme un avertissement. Souvenons-nous de groupes comme Ultimate Spinach, The Maze, The C.A. Quintet ou encore Lacewing, Haymarket Square, sans omettre de citer Ill Wind, Surprise Package, Crome Syrcus. Tous connurent les mondes parallèles, les visions dantesques de morceaux béants, longs dédales baignés dans l’apesanteur, vortex aspirant jusqu’à votre conscience. King Gizzard & The Lizard Wizard nouvelle formule se rapproche plutôt de J.K & Co, voire même des gentillets mais indispensables Strawberry Alarm Clock. Poussons plus loin, la tonalité folk des douze chansons rappelle, notamment sur Most Of What I Like, les Kinks du Village Green en y intégrant ce cosmique de poche qui fait ici merveilleusement son job. Certes, nous ne touchons pas au songwriting ouvragé des frères Davies, et King Gizzard & The Lizard Wizard a le bon goût de rester une formation mineure, sans prétention, ce qui la sauve, voire même la hisse au dessus de la mêlée. Il y a sans doute dans leur filiation la dimension « aussie pop » à laquelle les Kinks avaient indirectement rendue hommage dans le hit single, Australia, faisant ainsi référence au rayonnement de l’empire britannique magnifiquement résumé dans le coffret Nuggets 2. Combien de petites merveilles compilées, qui ressembleraient aujourd’hui à s’y méprendre à un titre tel que Bone ? Au milieu des perles enfilées en colliers, eux mêmes déposés sur des cous encadré de chevelures luminescentes, on trouve des morceaux plus déviants, bien que toujours lisibles, comme l’inquiétant et pourtant jouissif Trapdoor, ou The Bitter Boogie qui fait une œillade ostensible aux Stones de Their Satanic Majesties Request via le BJM. Impossible de conserver leur sérieux, les drilles de King Gizzard & The Lizard Wizard ne peuvent se départir de leur bonne humeur, relevée au sassafras et au peppermint, comme sur N.G.R.I (Bloodstain). Du coup, on tombe dans le panneau, on est quasi touché par le charme simplissime de leur nouveau matériel. Celui-ci préfère les chœurs chamarrés aux motifs de basse rondelette qui ont tendance à envahir la production actuelle d’obédience sixties, délaissant même la rugosité des guitares au profit des tapisseries acoustiques. Peut-être ne restera-t-il qu’une impression diffuse, un vague souvenir d’un bonheur enfui, certes, mais n’est-ce pas là l’essentiel ? Si un album, fut-il anecdotique, n’a pas l’ambition de rester, au moins est-il autorisé à revigorer pour de bon, à frictionner nos corps endoloris, nos âmes perdues. En attendant le prochain chef-d’œuvre dont l’époque a, de toute façon, tant de mal à accoucher. Ne mâchons pas nos mots, Paper Mâché Dream Balloon marque l’heureuse conclusion d’une année de blessures à peine cautérisées.

King Gizzard & The Lizard Wizard, Paper Mâché Dream Balloon (Heavenly Records)

a2280704800_10.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=J9jRmaTqYgI

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top