Soundhunters, l’empire des sons

par Adehoum Arbane  le 05.10.2015  dans la catégorie A new disque in town

En soixante années d’existence, la mythologie rock a enfanté nombre de figures et avatars dont le rockumentaire, ou document rock. Ce genre a connu depuis quelque temps un renouveau salutaire, transfiguré par des réalisateurs ambitieux. De même que le rock, ou plus globalement la pop music, se nourrit d’avant-garde, le documentaire musical avait ainsi besoin d’un film, un seul, pour entrer dans une nouvelle ère de perception. Telle est le dessein, dans le fond comme dans la forme, de Soundhunters, une expédition musicale. Encore que l’expression « une exploration musicale » aurait été plus juste. Car il s’agit bien de cela. Ce qui semblait être une gageure, Beryl Koltz, la réalisatrice, l’a fait naître de ses mains. Si la structure du documentaire est simple, voire linéaire – des portraits d’artistes, chasseurs de sons – c’est la mise en images qui la transfigure. En choisissant de donner un rôle « silencieux » mais au combien musical à un jeune duo de musiciens, KIZ, dont la quête humaine et créative devient le fil conducteur du récit, le vecteur d’émotions prégnantes, Beryl Koltz met en scène des mini tableaux symphoniques d’une rare complexité doublée d’un pouvoir visuel indéniable. Tout naturellement, c’est Jean-Michel Jarre qui ouvre et referme le film. Son travail s’inscrit dans la thématique, soit l’enregistrement de sons vivants, en milieu naturel et leur intégration au service de pièces musicales entièrement repensées. Sur Zoolook, son quatrième album, il est l’un des premiers musiciens pop à travailler sur le Fairlight CMI, un synthétiseur échantillonneurs de sons, ancêtre du sampleur. Mais revenons au film en lui même, véritable matrice des recherches les plus inattendues. On y fait la connaissance de musiciens, groupes ou collectifs : Cosmo Sheldrake, Matthew Herbert, Christophe Chassol, Blixa Bargeld, Six Drummers, Matmos, Joseph Bertolozzi. On découvre leur travail, les particularités de chacun, certains s’inscrivant directement dans le langage pop comme Sheldrake et Chassol, les autres sondant au travers d’œuvres conceptuelles les moindres recoins sonores de la Musique Contemporaine. L’aventure s’avère palpitante et l’on en ressort moins sot qu’on y est entré. Le contrat du documentaire musical est donc, à ce stade, pleinement rempli. Mais là où Soundhunters diffère, c’est par son épaisseur poétique. Bien sûr, la beauté des images, leurs couleurs, la dimension cinématographique des cadrages, tous ces éléments conjugués donnent à ces compositions naturalistes une aura peu commune. Mais le tour de force ne s’arrête pas là. C’est dans le montage des séquences intermédiaires, où les narrateurs voyagent et improvisent, que le film trouve son souffle primal. Soundhunters fut sans doute un enfer de montage et de sound design mais l’énorme travail abattu en valait la peine. Arriver à restituer des sons additionnés par le seul assemblage des images, voilà le moteur du film qui lui confère sa magie singulière et qui trouve son point d’orgue dans la séquence finale, proprement hallucinante et qui convertirait les plus récalcitrants. Car Soundhunters fait bouger nos certitudes en matière de musiques dites populaires bien que celles-ci englobent tout le spectre des expérimentions les plus diverses. Beryl Koltz a l’intelligence de les rendre tangibles, humains, presque palpables. Loin de paraître élitiste, bien qu’elle soit parfois abstraite, cette musique là, disons plutôt cette forme musicale constamment en mouvement touche immédiatement, nous attrape au passage, remue en nous des sensations incroyablement vivaces, inédites, et enfin nous émeut. Car derrière les tâtonnements ludiques de ces chasseurs de sons, il y aussi, surtout, l’obsession de la création, le désir ardent de produire une musique non conventionnelle, étrange et profondément originale. Il fallait pour cela choisir la voie de l’allégorie, les scénariser dans un ensemble plus complet, véritable triptyque narratif : vision, audition, pulsation. Last but no least, la richesse tout à la fois thématique et sensitive de Soundhunters a, du reste, le mérite de tenir dans un format relativement court, classique tout du moins, soit cinquante trois minutes. Le temps d’une expédition euphorique au cœur des sons.

Beryl Koltz - Soundhunters, une expédition musicale (Camera Talk Productions, a_BAHN)

film.jpg

http://www.tv-replay.fr/19-09-15/soundhunters-arte-11218197.html

http://soundhunters.arte.tv/#/watch

 

 

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top