Gram Parsons en avait rêvé, Israel Nash l’a fait. Une musique aux racines country, ponctuée d’envolées spatiales. Un psychédélisme positif en somme, débarrassé de toute allusion aux drogues. Une musique d’une pureté confondante, à la fois fragile et violente. Comme un torrent jaillissant de la montagne séculaire. Silver Season serait une sorte d’American Beauty planant, un Everybody Know This Is Nowhere cosmique. Un Meddle américain ? Dit comme ça, la chose est plaisante mais forcément réductrice. Quand l’Angleterre tente de retrouver la pop à guitare qui était son crédo, l’Amérique, elle, se replonge avec délice dans un son qui a toujours été le sien, un rock très écrit mais qui ménage suffisamment d’espace pour courir après les étoiles. Cet absolu musical a été préempté par quelques artistes californiens comme le très – trop –professionnel Jonathan Wilson et Israel Nash Gripka, donc. Moins "connu" que son homologue, Nash a su s’entourer d’un vrai groupe pour explorer des confins certes déjà balisés et qui pourtant, par la grâce du moment, s’abandonnent dans un élan d’électricité gorgée de pedal steel. Bien qu’empruntant à la tradition, cette musique n’a rien de revivaliste. Elle poursuit une esthétique en même temps que la quête de l’artiste, Israel Nash, qui en est le pivot central. Manquerait peut-être – sans doute – la dimension littéraire, poétique qui propulse une œuvre discographique dans les galaxies légendaires. Surtout, la création de Silver Season pose nécessairement la question du passé, en tout cas de l’Histoire, de son corpus, de son cortège et celle si délicate de l’identité. Deux grandes cultures structurent l’ensemble du rock américain : le blues, le rhythm’n’blues, le gospel et la soul d’un côté, la folk et la country de l’autre. Des groupes comme Creedence ou The Band ont réussi à réunir ces deux familles en vérité complémentaires. C’était hier, bien sûr et depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la production musicale. Pour autant, l’identité est une base, un terreau nourrissant une réflexion ou une œuvre, qui dès lors s’enrichit au gré des rencontres, des expériences. La country serait une nostalgie si on arrêtait de la jouer, de la réinterpréter. En revisitant cette partition immuable, Nash tend à la rendre universelle, osons le mot, contemporaine. Certes, les neuf chansons ne jettent pas des ponts improbables entre, par exemple, folk-rock et hip-hop. Ce qui n’empêche nullement cette musique, profondément honnête, de se teinter de notes spirituelles sous-jacentes, à la base du blues noir américain. Il a aussi l’ambition, subtile mais prégnante, de la colorer de tonalités FM, comme pour la léguer de manière plus évidente. Ainsi vont The Fire & The Flood, A Coat Of Many Colors ou un titre plus contrasté comme Strangers. Démarche d’une pureté manifeste lorsqu’il les fait glisser vers des abîmes sidéraux, usant de stratagèmes instrumentaux adéquats comme ce mellotron qui ouvre L.A. Lately. C’est à ce moment que, très paradoxalement, il apparait comme moderne, parce que la composition prend subitement des accents dramatiques comme pour sous-titrer les grands bouleversements du monde sans en faire son sujet. Dans son approche, sa vision musicale, Israel Nash par ses choix chromatiques s’affirme comme un Michael Mann de la pop culture. Ses neuf chansons sont, chacune à sa manière, une invitation à un voyage, tantôt paysagé, tantôt contemplatif, sortes de long travelling sonore à travers le temps, l’histoire, à travers cette Amérique qui ne pourrait être qu’un fantasme ou un repoussoir mais qui toujours fascine. Moment de grâce quand le groupe instaure des moments de silence pour mieux repartir plus loin, plus haut. Il y a aussi la limpidité du son et le nécessaire travail de studio qui sortent cette musique en apparence datée des coffres poussiéreux pour la propulser dans le futur. La basse, la batterie, les guitares semblent figées dans un temps suspendu. Tous les éléments propres à la musique de Nash sont ici parfaitement fondus, enchâssés dans un cristal qui, sans enfermer les titres, leur donne une résonnance céleste, presque verticale. Lavendula apparait comme l’un des grands moments de ce deuxième album, radieux et aérien, et dont la pochette – à l’astrologie escherienne – prolonge de manière parfaite des morceaux codifiés mais étrangement libres. Comme saisis pour l’éternité dans une cinquième saison imaginaire.
Israel Nash, Silver Season (Loose Music)
https://www.youtube.com/watch?v=bzUiFssMWjU
https://www.youtube.com/watch?v=p2T2_3XueKQ
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