Il fut un genre dans lequel la France excella, à l’époque où la Perfide Albion aposait sur le monde de la pop son sceau magistral. Les yé-yé girls. Françoise Hardy toutes époques confondues, France Gall dans sa période lysergique, l’incontournable Claudine Longet bien sûr, Clothilde et Jacqueline Taïeb dans des formules plus troubles encore. C’est cette tradition que Double Françoise se plait à ressusciter, non par nostalgie, mais parce que ce langage-là – basse ourlée, claviers solaires, servis par des refrains imparables emmenés par de jolis brins de femmes – reste éternel. Cependant il serait idiot de réduire Double Françoise à une telle formule ! Composé de Maxence à l’écriture musicale et à l’interprétation éthérée et d’Elizabeth au chant séraphique et aux textes, Double Françoise joue l’ambiguïté jusqu’au bout, pour ne pas se laisser piéger par une appellation, aussi prestigieuse et séduisante soit-elle. Constat édifiant dès l’arrivée du deuxième titre, L’Automobile, chanté par Maxence et lamé d’orgues qui ne sont pas sans rappeler les ambiances inquiétantes de groupes anglais comme Egg sur A Visit To Newport Hospital ou les rêveries synthétiques qui se déploient sur le pont, renvoyant aux meilleurs trips post-floydiens. Volonté de surprendre aussi en alternant, plus que les voix féminine et masculine, les langues française et anglaise. Mais attention, ce premier EP si bien nommé – Les French chanteuses – ne se veut pas un CV mais bien un manifeste esthétique, un acte de création sur les bases d’une pop qui, avec des yeux gourmands, lorgne un peu partout. Ainsi, le morceau titre et Ladybird explorent, chacun à sa manière, cette bossa-nova qui donna parfois au rock psyché des accents tropicaux, des parfums d’ailleurs, comme si sur ses propres ailes, l’auditeur décollait vers d’autres paysages, tièdes, cramés à la façon des anciennes cartes postales estivales. Ces chansons pourraient parfaitement sonner et en même temps tomber dans l’exercice de style un peu trop studieux, mais de cela il n’est jamais question. Bien sûr parce que les choix harmoniques, les partis-pris stylistiques ont cette amplitude qui interdit tout forme d’ennui. Ensuite, parce qu’il s’agit d’un Ep, d’un essai donc et l’on sent que Double Françoise a suffisamment d’idées en poche pour qu’un futur album emprunte moult directions sans se perdre sur les autoroutes de l’inspiration. Enfin et détail tout aussi important que les autres qualités précédemment mentionnées, Double Françoise s’inscrit bel et bien dans une scène, celle qui aujourd’hui donne espoir à la pop hexagonale. Du temps se sera ainsi écoulé pour entendre des groupes – même s’il en existait déjà – s’épanouir dans la langue de Balzac. Depuis ils sont légions à s’assumer ainsi en français et parfois même dans ses plus beaux atours, à oser la logique du récit sans renoncer aux codes, l’idiome inventé il y a cinquante ans par les Beatles et les Kinks. D’autant que le groupe penche franchement du côté de la modernité pour faire resurgir cette musique d’un autre temps, ô combien mélodique, et que nous avions parfois jetée aux oubliettes de la Mémoire Collective. Surtout à l’heure où les possibilités infinies d’Internet, dans une accélération à double tranchant, nous amènent à bêtement empiler, effleurer en surface, bref consommer les contenus – Brrr que le mot est laid – dits musicaux. Il faut ce supplément d’âme – et Double Françoise comme ses homologues n’en est point dépourvu – pour survivre aux tentations vaines de la viralité, à son caractère interchangeable voire pire, jetable. Sans doute le duo acceptera-t-il d’échapper à ses références pour s’épanouir plus longuement, pour poser les contours d’une belle personnalité que l’on écoute ici en douces esquisses. Car les chansons sont là, la qualité intrinsèque des morceaux aussi, le jeu, la production, la prise de son. Tout. Il y a donc matière à. Et qui plus est doublement.
Double Françoise (Freaksville Records)
https://doublefrancoise.bandcamp.com
© Stéphane Drouot : http://laei.org
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