Certainement le disque de rock garage le plus fou. Parce qu’enregistré, non pas dans un garage en direct de Ploucland USA, mais en Allemagne. Les Monks étaient des musiciens américains, tous enrôlés sous les drapeaux, et basés à Gelnhausen. Quand vient la quille, nos moines défroquent l’uniforme mais restent dans leur pays d’adoption pour y monter un groupe de rock. À l’époque – comme partout ailleurs –, la pop anglo-saxonne donne le la. Chacun y va – et y compris dans la patrie de Gœthe – de son combo en "The". Mais trop souvent, le rhythm and blues domine, parfois perturbé par quelques assauts d’hammond churchy. On ne peut pas réellement qualifier Black Monk Time, première et unique tentative, de disque psyché, non, l’orientalisme ne domine en rien l’inspiration de nos rockeurs à tonsure. Les morceaux tous relativement basiques sont néanmoins contaminés par trois éléments perturbateurs. En première place, l’orgue. Peut-être pour la première fois de l’histoire du rock garage, des nappes lapidaires réussirent à s’extraire d’un instrument autre que le farfisa. L’hammond tel que le pratique ou devrait-on dire le triture Larry Clark – rien à voir avec le cinéaste du désastre adolescent – semble surgir de nulle part. Martial et martien, sa folie irradie littéralement les douze titres même les plus idiots dont Higgle-Dy-Piggle-Dy, sorte de yodle surf-acide. Sur certaines chansons, Larry Clark arrive à tirer des notes inquiétantes, à instaurer comme on dit doctement des climats et ce bien avant le Pink Floyd de la maturité. Shut Up ou I Hate You sont à ce titre exemplaires d’un tel traitement musical. Si l’on peut bien évidemment parler de musique tant le chaos guette à chaque seconde. Deuxième argument, la guitare, fuzz, énorme, sale, tronçonnant tout sur son passage, bourdonnante, vibrionnante, tout aussi épileptique que l’orgue et qui se trouve le plus souvent doublée par un banjo démentiel faisant aussitôt songer à la cruche amplifiée du 13th Floor Elevators. Cette option permet aux musiciens d’obtenir un son hypnotique appuyé par une section rythmique réduite à sa plus simple expression tout en restant extrêmement efficace. Il y a quelque chose de squelettique dans tout cela et qui trouve dès lors son chemin parmi les nouages spongieux de nos neurones jusqu’à irradier les couches du cortex. Troisième motif d’extase grandiloquente, la voix de possédé de Gary Burger. Le comble pour un moine ! Gary et sa bande inventent le hard quatre ans avant et le punk dix ans avant. Cette dernière saillie ne doit pas être prise à la légère tant le disque frappe par sa singularité, sa violence presque sexuelle, son impact béat ! Le chant y est pour beaucoup qui dans une logique de transe quasi tribale propulse les douze chansons de Black Monk Time dans une galaxie autre. Il faut bien se rappeler que nous sommes en 1966. Revolver arrive dans les bacs, le Jefferson Airplane ne s’est pas encore stabilisé, les groupes garage, bien que nombreux et méritants, n’en sont pas moins studieux. Et les Monks, eux, plongent en plein délire. Un peu comme leurs homologues californiens les Mothers Of Invention dont ils partagent un goût certain pour la dérision. Mais avec ce génie précurseur de respecter les codes du studio : Black Monk Time est un ovni en matière de production, limpide autant que brutal. Dernier aspect fondamental. C’était oublier que les Monks avait tout compris du rock, notamment sa dimension iconique. Tonsures authentiques et robes de bure complètent la panoplie de ces showmen iconoclastes. Pour toutes ces raisons, Black Monk Time n’est pas qu’un simple disque. On pourrait aisément parler d’acte fondateur. Tant pour le rock américain que pour celui qui renaitra, ici en Allemagne, sous un autre nom, moins heureux, mais qui enverra cependant ses proches concurrents dans les choux. En attendant, il faut écouter cet opus court mais éreintant, dire amen à chacun de ses partis-pris. Pour aspirer ensuite au silence et au repos éternel ? Vœu pieux.
The Monks, Black Monk Time (Polydor)
https://www.youtube.com/watch?v=0XhpXUt82zA
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