Comment expliquer que Get Ready, deuxième album de Rare Earth – groupe de seconde division, vaguement psychédélique et accessoirement américain – se retrouve depuis l’année 69 dans tous les bacs à disques de France et de Navarre ? Destin apparemment similaire à celui de Sweet Smoke, combo hippie américain installé en Allemagne et devenu étrangement star des hits parades hexagonaux. Leur unique point commun, avoir été signés par un gros label, EMI s’agissant de Sweet Smoke. Mais là où Rare Earth se distingue de son homologue, et de la plupart des formations underground sous contrat avec une major – le phénomène n’est pas anecdotique durant les sixties, loin s’en faut – tient en un mot : MO-TOWN. Qu’une formation psyché et surtout blanche rejoigne l’une des deux écuries de la musique black tranche nettement avec les exemples précités. Précisons que Get Ready a été distribué par la filiale « rock » de la Tamla, les si justement nommés Rare Earth Records. Et la popularité dans tout cela ? Sans être entrés au panthéon du rock, les membres de Rare Earth eurent le culot d’écouler un million d’exemplaires du morceau titre, édité pour l’occasion en single et réduit à deux minutes quarante trois, diffusion radio oblige. Au-delà même du prestige du nom, la Motown offre à leurs nouveaux poulains quelques atouts non négligeables. Premièrement, une team de songwriters maison : Lynn Henderson, Tom Baird, Wes Henderson, sans oublier l’incontournable William Smokey Robinson, auteur de tubes légendaires dont le fameux Tears Of A Clown. Deuxième carte dans leur manche, le savoir-faire d’une maison sortant groupes, 45t et Lp à foison ! Bien avant que la Californie ne s’éveille à la rêverie folk psychédélique, c’est du côté de la soul que s’écrit l’histoire américaine de la pop. Les premiers concurrents des Beatles sont ainsi les Four Top, Smokey Robinson and The Miracles, Martha & The Vandellas, Gladys Knight & The Pips… La liste est longue. Quant au dernier argument – il est de taille –, il rend toutes les ambitions possibles. Avec l’argent généré par les stars, on peut se payer les meilleurs studios, les meilleurs ingénieurs, loin très loin des productions home made qui commencent à fleurir. Venons-en au disque. Sans passer pour un chef-d’œuvre inaltérable, Get Ready, l’album, s’impose comme une galette méritant indiscutablement le détour, quarante six ans après. Composée exclusivement de reprises, à l’exception du morceau d’ouverture Magic Key, celle-ci coche toutes les cases du disque légendaire. À commencer par les chansons. Tobacco Road, Feelin’ Alright et Get Ready pour les valeurs sûres. In Bed et Train To Nowhere pour les compositions méconnues. Et enfin, Magic Key pour la contribution personnelle qui à l’heur, ici, d’ouvrir si magistralement l’album. L’interprétation ensuite. Là réside la force, tellurique, du groupe. Tous sont des musiciens chevronnés, maîtrisant parfaitement les possibilités de leurs instruments – dont la palette s’élargit au saxophone –, sans parler de celles du studio. Paradoxalement, s’ils laissent à d’autres les clés du songwriting, ils décident de produire eux-mêmes leur album. L’alchimie prend de la première à la dernière seconde. Ainsi, l’auditeur succombera au charme torve de Tobacco Road, standard mille fois rabâché mais transcendé ici par les interventions de la guitare, monstrueuse, de l’orgue et du saxophone, et littéralement terrassé par la voix puissante du batteur Pete Rivera. La face A se poursuit donc avec la célèbre chanson de Traffic, Feelin’ Alright, dont le groove mène inéluctablement vers le climax, le soli de guitare, d’inspiration hendrixienne. In Bed et Train To Nowhere – dans une version plus dynamique que l’orignal signé Savoy Brown – baigne dans le même océan de cool. Sur la face B, s’étend Get Ready dans une fausse version live, avec cris de fans, sur plus de vingt minutes. À la manière de In-A-Gadda-Da-Vida de Iron Butterfly, le groupe déploie son jeu et avec, un certain sens du drame. La chanson débute ainsi par une introduction que le Pink Floyd période Gilmour n’aurait pas reniée. Lentement le tempo bascule pour laisser éclater le thème principal, dans une pure relecture West Coast. Dans la foulée, couplets et refrains magnifiquement emballés, les musiciens se lancent dans une longue cavalcade sonique où chacun donne libre court à son talent, laisse parler son instrument. Orgue, guitare et sax sans omettre l’incontournable chorus de batterie, tout y passe sans jamais relâcher la pression. L’idée étant de recréer l’ambiance torride et pénétrante des concerts de la fin des sixties. Contrat rempli ! Ce qui frappe aussi, c’est l’impeccable prise de son qui ouvre l’espace, libère les frontières. Comme si nous nous trouvions propulsés dans un auditorium imaginaire, une sorte de Fillmore, East ou West peu importe. Seul compte l’impression, celle d’assister à une grande messe sensorielle. C’est sans doute cette netteté, cette volubilité qui marqua le public de l’époque et qui assura au Lp son succès. Faisant un instant de Rare Earth un groupe aussi rare que planétaire.
Rare Earth, Get Ready (Rare Earth Records-Motown)
https://www.youtube.com/watch?v=-3QyMmGlF-Y
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