Manset, jais rare

par Adehoum Arbane  le 26.05.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Non, écouter Manset ce n’est en rien céder au diktat d’une presse intellectuelle, recroquevillée sur ses attributions officielles. On ne vient pas à Manset par snobisme, par pose, non. Le mot venir est éclairant s’agissant d’un musicien dont la solitude l’éloigna longtemps du monde contemporain, médiatique et assourdissant. On touche à l’œuvre de Manset au départ avec réserve, timidité. Le chant en français et sa capacité à s’adapter aux canons du rock, au rythme, fut de tout temps un vrai problème. Voilà pourquoi d’une certaine manière, il a choisi l’abstraction, mais aussi le contrôle totale de son œuvre : paroles, musique, production, enregistrement, mixage, l’homme est partout, à chaque étape, comme un voyageur infatigable. Inclassable. Maniaque. Sensible. Cultivant le goût du risque. Chacun de ses albums semble régi par ses trois piliers. Profession de foi d’un artiste total, comme on dit. Comment arriver à transposer la musique de Manset en mots ? Autant essayer de traduire l’ineffable, de dire ce que le ciel voit. La découverte du monde Manset relève de l’initiation, faite de doute et de fascination. Il y a la voix étrange, avec son accent, ses variations, comme un roseau plié par les vents qui jamais ne rompt. Il y a le verbe, ouvragé, appuyé jusqu’à la grandiloquence mais toujours consistant avec ses rimes déployées comme des horizons verticaux. Saturant l’espace d’un morceau d’un trop-plein d’idées. Mais entre les mots, les lignes point toujours l’émotion, la tentative d’aller vers le beau, de risquer d’y perdre en chemin l’auditeur impressionné. Pour atteindre une forme de perfection orale. Puis, il y a aussi la musique. Surtout. Manset est avec quelques autres – ils sont peu nombreux en vérité – celui qui a le mieux traduit la culture pop, le mieux exploité les possibilités émotionnelles du rock, son sens permanent du drame, sa tension infinie. Ainsi, est-il resté du côté de la chanson française, sans s’égarer dans cette variété diluée, pâteuse, inconsistante. Invertébrée. Dès ses premiers âges discographiques, Manset glisse ailleurs, ose tout, les climats, les orchestrations folles, tutoie les anglais. C’est l’époque où surgissent sur les ondes ces Objets Vibrants Non Improvisés que sont Animal On Est Mal ou La Mort d’Orion ; la naissance d’un style singulier qui tantôt irrite, tantôt vous courbe l’échine. C’est la loi qu’édicte Manset. Mais le tournant vient en 75 avec Manset, plus connu sous le nom de Y’a Une Route. Délaissant les bas reliefs pompiers, Gérard Manset prend la route qui se déroule devant lui, à l’infini. Celle d’un rock universel, intemporel, à la fois mélodique et nerveux, sexy et profond. D’un coup son verbe se resserre, le lyrisme d’autrefois fait place à une parole vraie, incarnée, pas moins poétique, mais plus directe. Y’a Une Route et Il Voyage En Solitaire sont les figures de proue de ce style apuré. Là où le compositeur surprend c’est par la violence floydienne des titres suivants. On sait que tu vas vite et la pièce de résistance – rituel discographique du maître – Attends Que Le Temps Te Vide laissent les guitares hurler, crisser, se contorsionner dans une danse érotique rappelant le fameux serpent au bout du bâton. Sous les éclats de piano et de cordes. Manset surprend lui qui s’était présenté au monde comme orfèvre, ciseleur d’émeraudes pop. Non pas que la richesse ait abandonné ces nouvelles chansons, non bien sûr. La production, la prise de son sont d’autant plus remarquables qu’elles servent des compositions denses, immédiates et impénétrables. Manset n’atterrit jamais où son public l’attend. Ce qui explique le culte que celui-ci lui voue. Alternant rock fiévreux et chansons douces-amères, Y’a Une Route fait songer dans une certaine mesure – évidemment – à Wish You Where Here. Les guitares, acoustique et électrique, y sont reines. En plus des violons et de certaines trouvailles comme cet accordéon qui donne à Il est loin le temps devant nous sa douceur frissonnante. Trois années et un disque plus tard, Manset revient avec 2870, ode futuriste retrouvant l’électricité torve et miaulante. Œuvre sombre, pessimiste loin des climats variés, loin de ce « parc où vont les bêtes » qui refermait le Manset millésimé 75. Même penchant torturé par la folie et l’épique, pour les mixages audacieux qui derrière les canaux relâchent d’un simple tour de bouton des orages électriques, des émotions taillées à même le rock. Dans un noir de jais rappelant chevelure et barbe de l’artiste comme dans le clip minimal de Y’a une route. Aujourd’hui encore, Manset demeure un secret. Publiant des albums, remixant les anciens au gré de ses désirs, sans se laisser corrompre par l’air du temps forcément volatile. Il voyage seul, oui, et surtout au-dessus de la mêlée. Tristes, journalistes, fans et admirateurs paraissent des Icare modernes. On n’approche pas impunément du soleil. 

Gérard Manset, Manset (EMI)

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https://www.youtube.com/watch?v=wEab9-Fu7g8

 

 

 

 

 

 


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