Qui dit rock sudiste, dit le plus souvent rock de péquenaud. On connaît la haine qu’une formation comme Lynyrd Skynyrd vouait aux gentils hippies de Crosby, Stills, Nash & Young. C’est donc avec une inquiétude certaine que l’on aborde l’œuvre de Tony Joe White qui a le bon goût de se présenter sur Homemade Ice Cream – dernier volet de la période Warner –, chemise en jean nouée et poitrail en devanture. Avec un nom et une pochette pareils, soit l’on a affaire à l’un de ces Rednecks adorateurs du Klan, soit à un narcisse gay vadrouillant joyeusement dans les épais marais – sans mauvais jeu de mots – de la Louisiane. L’homme n’entre dans aucune des deux catégories précitées. Loin des riffs braillards, des rock songs viriles, les chansons de Tony Joe apparaissent ici dans leur plus simple appareil mais cependant arrangées de la plus délicate des manières : orgue minéral, légèrement baveux, guitare acoustique ou électrique, c’est selon, le tout agrémenté qui d’un harmonica qui de quelques feulements de congas. Et puis il y a la voix de Tony Joe White, comme un cinglant démenti identitaire. Une voix black aux références pourtant métissées, à la fois granuleuse et suave entre Elvis, Al Green et David Ackles. On pourrait s’arrêter là, se dire « allez, point final, mission accomplie » mais non ! Sans passer pour le chef-d’œuvre absolu du rock qu’il ne prétend d’ailleurs pas être, Homemade Ice Cream n’en demeure pas moins un album – le meilleur de Tony Joe White – totalement maîtrisé, une œuvre qui, si elle lorgne du côté du blues, n’oublie pas de sonner pop. Une pop étonnement tendre, emprunte de sensibilité comme si, derrière son costume de macho, Tony Joe White cachait une nature féminine, presque fleur bleue. I Want Love ('Tween You and Me) et California On My Mind sont à ce titre emblématiques qui finiraient par amadouer le plus petit fermier élevé dans l’amour congénital de la mère patrie. Partant ainsi d’une équation instrumentale ramassée, Tony Joe White raconte d’une voix veloutée des histoires à la simplicité biblique mais avec ce qu’il faut de vulnérabilité. Dans cet écrin, il convoque tout le spectre des émotions, tantôt doucereuses, tantôt fulgurantes. Et passe d’un registre à l’autre sans se perdre ni briser le souffle de son inspiration. Quelle surprise de découvrir, nichée entre le rock carré Backwoods Preacher Pan et le mid-tempo ourlé et sexy No News Is Good News, une ballade spectrale, le bouleversant Talkin' the Midnight Train. Comme si tous les habits, toutes les expressions du rock convenaient au chanteur. Notons au passage la qualité de l’enregistrement mais également celle de la réédition, récente, qui lui redonne tout son lustre. Sur Talkin' the Midnight Train, les silences, les échos comptent autant que les lignes mélodiques, les interventions retenues de l’orgue et les pincements cristallins de la guitare acoustique qui semblent exprimer mieux que quiconque toutes les douleurs de l’âme humaine trouvant dans le Blues leur plus évidente incarnation. De Saturday Night in Oak Grove Louisiana qui fait curieusement songer au Move Over de Joplin à des titres du calibre de Ol' Mother Earth, Tony Joe White nous régale sans trop en faire, avec l’élégance que n’ont visiblement pas certains de ses contemporains, de fabrication locale. Jusqu’à se mettre en retrait sur le morceau titre, instrumental désarmant de sincérité avec sa ligne de guitare virevoltante et son harmonica, émouvant dialoguiste des pensées intimes. Tout est ici confondant, merveilleux, honnête aussi, sans esbroufe ni démonstration vaine, rappelons que les seventies sont la vitrine clinquante de tous les excès du Rock Stadium triomphant. Tony Joe White, lui, se promène, sobrement accompagné de ses musiciens – tous session men chevronnés – et du célèbre producteur David Briggs à l’orgue. Et on aime ça. Et on en redemande. Allez, Tony Joe, une glace maison, une autre.
Tony Joe White, Homemade Ice Cream (Warner)
http://www.deezer.com/album/88533
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