Pink Floyd au pied du mur ?

par Adehoum Arbane  le 30.03.2015  dans la catégorie C'était mieux avant

Lorsque dans les toutes dernières minutes de The Wall – le film délirant signé Alan Parker – le fameux mur éclate, ce n’est pas tant la psyché torturée de Pink, double allégorique de Roger Waters, qui s’effondre. Non. C’est un autre rempart qui s’écroule alors dans les gravas de mots et la fureur des guitares. Le véritable mur dont parle l’album – sans que chacun ne le sache ou n’ait tenté de le savoir – est bien celui qui sépara naguère les seventies symphoniques de la pop eighties. Pendant longtemps, Pink Floyd sous l’impulsion de ses quatre musiciens incarna ce que d’aucuns appelèrent le rock cosmique. Qui n’était qu’une déclinaison, certes originale, du rock progressif. Lui même fils ainé du psychédélisme britannique. Alors que le groupe, au bord de l’implosion, sort quasi exsangue de deux décennies d’intense créativité, son leader Roger Waters va proposer à ses futurs anciens compagnons de route un projet plus que pyramidal, pharaonique en vérité. Son grand œuvre à lui. The Wall donc. Symbole pour les uns d’un rock pompier aux aboies en ces années de punk débridé, classique atrabilaire pour les autres, le mur n’en demeure pas moins un album charnière. Une sorte de grand final d’une époque – le mot sonne presque désuet –, un point d’orgue avant que ceux-ci ne cèdent place aux synthés et aux boîtes à rythmes qui feront le malheur des années à venir. Son génie ne se situe pas dans son statut d’album concept, ni dans sa dimension livresque – deux disques, quatre faces et vingt six morceaux – mais bien dans sa perfection formelle, sa rigueur mélodique. Chaque brique de ce wall correspond à un morceau court, immédiat, évident, osant parfois le rock dans ce qu’il a de plus sommaire. Au passage, il convient de saluer le travail remarquable de Bob Ezrin dont la science se concentre dans ce mariage improbable entre riffs hard et bizarreries baroques, voir les sept ans passés avec Alice Cooper. Bien que retrouvant les excroissances symphoniques à la Atom Heart Mother sur The Trial, la patte Ezrin n’a pas réellement contaminé The Wall qui demeure une œuvre hantée par son unique géniteur, au point de ravaler les autres membres au rang de simples sessions men. Il y surnage une impression malsaine de réalisme impudique, de règlement de compte avec l’enfance, la famille, son père mort pour la Mère Patrie et la mère restée, qui dans le film épouse les traits d’un monstre d’affection à la rondeur envahissante. Derrière la lourdeur apparente – le sujet ô combien schizophrénique –, The Wall propose son lot de miniatures à la fragilité quasi diaphane, souffle ténu qui menace de s’éteindre dans les tourments de la mort, de la guerre, de l’oubli. The Thin Ice, Goodbye Blue Sky, Is There Anybody Out There?, The Show Must Go On à la couleur très beatlesienne et la trilogie Nobody Home/Vera/Bring The Boys Back Home. Judicieusement placées, ces respirations ouvrent toujours la voie à quelque chose de plus grand : Mother, One Of My Turns, Don't Leave Me Now, Hey You, In The Flesh, Waiting For The Worms et bien sur le magistral Comfortably Numb, composition de David Gilmour. The Wall représente enfin un formidable pied de nez à l’Histoire. D’abord celle du groupe, qui trouve ici un ultime baroud d’honneur musical. À celle du rock, faisant oublié les excès d’antan pour retrouver une forme de fièvre originelle – le proto-punk des années garages – dans un écrin stadium, bottant l’arrière train en marche de la nouvelle génération qui eut le tort de considérer ces musiciens géniaux – et opportunistes – comme des has been. Certains titres, non contents de clamer leur noirceur, crachent également leur violence. On pense à Young Lust. Enfin, à l’heure où les dinosaures prog n’en finissent plus d’agoniser, Pink Floyd inscrit quelques hits furieux et intemporels qui resteront dans les annales. Another Brick In The Wall (Part 2) sonna longtemps – et continue de sonner aujourd’hui – comme un hymne rebelle ; du jamais vu depuis les premiers déhanchés d’Elvis. Mais comment s’extraire de ce dédale ? Par quelle pirouette résumée parvient-on à en sortir ? Qu’y a-t-il en vérité derrière le mur ? Un Everest émotionnel que personne n’a réussi à dépasser. Pas même Roger Waters. 

Pink Floyd, The Wall (Harvest)

pink-floyd-the-wall.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=9M1EYBcV1gw

https://www.youtube.com/watch?v=pHof4LsfP0A

 

 

 

 

 


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