D’ordinaire, la Gaîté Lyrique porte mal son nom. Motif de la bouderie, son indécent déballage de jeunes branchés aux mines marmoréennes et aux blue-jeans années 80 remontés jusqu’aux épaules. Malgré la beauté de son architecture ancienne figée dans un écrin moderne, tout en néon traversant, la joie de vivre n’y explose pas à chaque mètre carré. Tel ne fut pas le cas ce soir – bleui par le froid – du 28 janvier 2015. Et pour cause puisque Moodoïd y donnait un concert dont l’attente était aussi forte que les visages, eux, étaient patibulaires. Avec quelques amis élégants, j’avais décidé de prendre le pouls scénique d’un groupe qui depuis deux ans déjà agitait de ses remous psychédéliques la scène pop française. Alors que le grand escalier déversait son épuisant ressac de tenues chamarrées, nous rejoignîmes le deuxième étage où une musique charmeuse bien qu’étrangère nous disait « venez, approchez ». Il s’agissait de Tiryaki, trio turc possédé jouant ses mélopées jusque dans nos têtes dégingandées aux allures de grand souk sensoriel. Formidable entrée en matière d’un show qui s’annonçait passionnant ! Une longue heure plus tard, le temps de snober la première partie, nous nous retrouvons dans le cube qui fait office de salle à proprement parler. Sensation bizarre d’entrer dans un vaisseau futuriste, nous isolant complètement des murmures extérieurs. La foule est compacte comme une étreinte. Nous nous frayons un chemin de traverse. À ma gauche, je reconnais Jean Benoît Dunckel de Air, à ma droite, perdu dans son pardessus noir de jeune romantique, l’indispensable rockeur Marc Desse. Comme si nous formions à ce moment précis une sorte de trinité. Regard attiré aussitôt par la scène, le groupe débarque dans l’euphorie générale. D’un seul riff identifiable Pablo Padovani, Clémence Lasme, Lucie Droga, Lucie Antunes et Maud Nadal sont La Montagne, une Montagne de sons enveloppants, de moiteurs électriques. Avec son univers de bric et de broc servi dans un emballage space rock, Moodoïd a de quoi convaincre d’autant que ce soir, l’acoustique de la Gaîté sert incroyablement la musique. On y perçoit chaque note, même quand Pablo décide de changer de guitare. Les spécificités de chaque instrument – ce timbre cristallin – éclatent à nos oreilles comme des grenades de plaisir. Tout l’album passe au filtre d’une réinterprétation qui n’a pas perdu en efficacité ni rien cédé de ses jolis atours. On est bercé, la musique, elle, rebondit partout comme sur Bleu Est Le Feu, encore plus déflagrant que sa version Lp. D’un morceau à l’autre, le groupe prouve à quel point il est soudé, les musiciennes montrant aussi tout l’étendu de leur savoir-faire, en aucun cas dissimulé sous les paillettes stellaires, soufflées sur leurs visages angéliques. Il faut dire que chez Moodoïd, le spectacle est total, à la fois mélodique et visuel. On retrouve, toute proportion gardée, la poésie du Genesis de Peter Gabriel alors que les ambiances planantes et les cuivres de l’album, présents aussi sur scène, jettent un intéressant pont temporel vers le rock excentrique de Gong. L’alchimie quant à elle fonctionne à merveille bien que la dimension tribale semble parfois pétrifier l’assistance. Il faut attendre De Folie Pure pour que la foule, lâchée comme un fauve, monte sur scène dans une kermesse orgiaque de corps et de chants. Tiens, un punk à chien à la chevelure bleutée danse comme son animal imaginaire ! Quand l’auditoire redescend sur terre, les corps ont du mal à retrouver leur centre de gravité. C’est comme si les membres continuaient de chanceler au seul souvenir de ces chansons, encore prégnantes. Une heure et vingt minutes de live et un rappel plus tard, nous voilà en débriefing de la soirée, une bière arrimée à la main. Comble de l’allégresse ou de la Gaîté – ? – le groupe a le bon goût de se mêler à la foule. Histoire de partager les premières impressions à chaud, de constater que son bébé n’est pas qu’un buzz, une rumeur pour réseaux sociaux mais bien une formation avec laquelle il faudra désormais compter. Un groupe qui ne déçoit pas lorsqu’il quitte le confort rassurant d’un studio pour aller à la rencontre des fans. Car nous aussi, nous sommes la lune et la montagne. Nous aussi, nous sommes Moodoïd.
Moodoïd à la Gaîté Lyrique, 28 janvier.
Photo © Florian Duboé : www.betcpop.com
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