Quand il ne fut pas la créature insaisissable de Syd Barrett, Pink Floyd fut la chose de Roger Waters. Au point de ravaler Gilmour, Wright et Mason au rang de musiciens de studio sur leur génial effort pré-eighties, The Wall. Et si Richard Wright fut le vrai musicien du groupe – c’est lui qui accordait chacun des instruments avant de monter sur scène –, alors que Mason allait jouer les producteurs avec Wyatt tout en collectionnant au passage les voitures de sport, c’est David Gilmour qui incarna, par son jeu de guitare reconnaissable entre mille, l’esprit du Floyd des seventies. Quand ce petit monde s’essaya au disque solo, le résultat s’avéra bien décevant. Y compris Gilmour qui céda alors à la facilité en optant sur son premier effort pour un blues rock bien inoffensif. En 1981 il sort Nude. Acte créatif essentiel. Grande œuvre pop retrouvant ces fluides lignes de guitare que nous avions tant aimées. Disque concept mêlant refrains grandioses et prog ascétique. Sauf que Nude n’est nullement l’œuvre d’un David Gilmour transfiguré mais celle de Camel, formation mineure associée à l’école de Canterbury. Camel c’est au-delà du célèbre chameau beige sur fond de pyramide un des groupes anglais les plus attachants de la décennie 70. Peut-être même le groupe progressif le plus mélodique avec Caravan. Aventureux et tout à la fois accessible. Sans esbroufe, avec disons-le simplicité. Mirage, Snow Goose et Moonmadness représentent l’apogée, les classiques que chacun possède et conserve religieusement. La suite, sans atteindre la même intensité, n’est pas moins digne d’intérêt. Et d’en revenir à Nude dont la pochette, au japonisme acidulé et délicat, se veut l’écrin de trésors mélodiques sous-estimés. Combien sommes-nous à avoir écouté Nude en entier et, ainsi séduit, à avoir renouvelé l’expérience des heures durant ? Bref. C’est sans doute dans cet album que son leader, Andrew Latimer, livre ses chansons les plus parfaites. Celles-ci se trouvent judicieusement placées, d’une face à l’autre, au milieu d’instrumentaux dans la plus pure tradition progressive. On y reconnaît aussi le style Camel. Entrons maintenant dans le détail. Basé sur l’histoire authentique d’un soldat japonais de la deuxième guerre mondiale refusant de croire à la reddition, Nude déploie sur quarante quatre minutes tout le savoir-faire de Camel qui, malgré les remaniements nombreux, possède toujours âme et énergie. Et malgré quelques longueurs contemplatives – le cortège Landscapes, Changing Places et Pomp & Circumstance –, le Lp s’avère passionnant d’un bout à l’autre. L’efficacité le dispute à la majesté et c’est avec plaisir que s’enchaînent les thèmes Docks et Beached, aux breaks virtuoses. The Homecoming quant à lui n’est pas sans rappeler Nimrodel et son segment The Procession. La face b s’achève sur le lumineux The Last Farewell scindé en deux parties. Bref, on pourrait clore le chapitre, passer à un autre trésor. C’était sans évoquer ces monuments que sont City Life, Drafted, Please Come Home et Lies. Toutes ces chansons, merveilleusement écrites et décemment produites – rappelons-le, nous sommes au tout début des eighties de sinistre mémoire – prouvent à quel point le prog n’est pas juste un monstre boursouflé, une lubie de musiciens petits bourgeois méprisant la musique populaire, encore moins le rock. Si ces titres possèdent une force certaine, un sens du rythme réel, ils ont aussi du fond, du style. Avec leurs refrains habiles, leur phrasé pop évident – les claviers saccadés sur city Life, les lignes de basse sur Drafted –, ils semblent briller de mille feux. Surtout, ils savent mettre en valeur Andrew Latimer, soliste de grand talent pareil au Gilmour de The Wall. Lies est un peu son Comfortably Numb à lui. D’ordinaire, comparaison n’est pas raison mais ici, les choses sont différentes. Car Latimer par son art du songwriting surpasse largement son homologue en solo. De là à méditer cette phrase : quand Camel se met à nu, la pop renfile ses habits de lumières.
Camel, Nude (Decca)
https://www.youtube.com/watch?v=C4qW9kKGc94
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