C’est par le hipster que tout commença. L’obsession du cool. Appliquée à la musique et, plus particulièrement à la pop, elle vire souvent au grotesque. S’inscrire dans son temps reste, et nous ne le dirons jamais assez, une intention louable. Un crédo infiniment respectable. Mais il ne faut pas confondre être « de son temps » et « dans l’air du temps ». Démarche viciée qui passe systématiquement par l’emploi de machineries synthétiques en boucles obsédantes, de boîtes à rythme à l’encéphalogramme plat. Seule reste la posture, forcément vaine. Voilà pourquoi il ne faut jamais perdre de vue l’exigence d’incarnation. Leçon comprise depuis longtemps par un groupe trop souvent minoré, les Coral. Jamais ses six membres n’ont cédé à la facilité, aux modes pas plus qu’ils n’ont tenté de s’éloigner des rivages du songwriting. Cet alpha et oméga leur a permis de livrer au fil des années des albums excellents – certains surpassant les autres comme ce Roots & Echoes de si belle mémoire –, inventifs et colorés bien que les influences sixties soient toujours présentes. En ombré délicat. Loin des formats stéréotypés larvés d’envolées électro, les Coral aspirent à un son organique. Ce sont les circonstances de la vie qui vont les y aider. Fin 2005, ils viennent d’enregistrer The Invisible Invasion qui, entre les mains du producteur Geoff Barrow, s’essaye au post-modernisme. Un an plus tard, ils en reviennent aux racines avec le bien nommé Roots & Echoes considéré comme leur chef-d’œuvre. Entre ces deux sorties, ils enregistrent d’une traite dans les conditions ad hoc un album entier qui ne verra pas le jour : The Curse Of Love. Maudit ? Pas vraiment, leur maison de disque Deltasonic ayant tout simplement fusionné avec Sony. Quant à l’opus en question, baigné dans l’éther d’un psychédélisme folk très kinksien, il ne fait pas l’unanimité. Huit années ont passé et voilà que le groupe se décide à le publier sur son propre label, Skeleton Key. Grand bien lui a pris car malgré le mix pas totalement abouti, l’album s’impose comme une éblouissante réussite. Patiné sans en ressortir vermoulu, il nous donne à entendre les Coral tels que nous les avions laissés. D’abord au grand complet – Bill Ryder Jones faisant à nouveau partie de l’aventure par le jeu d’une faille temporelle involontaire – et plus que jamais inspirés. S’il n’atteint pas la perfection formelle et spirituelle de son successeur, La malédiction de l’amour possède bien des charmes. Il lorgne surtout, comme la pochette le laisse présager, vers une inspiration plus onirique. Finalement ce qui compte ce n’est pas tant de savoir si un disque s’intègre parfaitement dans son époque mais bien d’y trouver quelque beauté. Dieu sait que la création contemporaine dans son acceptation la plus large a fait depuis longtemps un sort à l’idée même de beauté classique. Que le concept d’esthétique l’a tout bonnement supplantée ! Les Coral pêchent sans doute par leur académisme dans la lecture qu’ils font du langage pop. Cela ne les empêche nullement d’écrire des chansons charmeuses, cohérentes dans le lien qu’elles créent entre elles au sein d’un album et enfin honorablement interprétées, la question de l’enregistrement mise à part. Mais bien plus encore, ils vont jusqu’à considérer ce Lp comme un livre – soyons précis –, comme un recueil de poésie s’ouvrant et se refermant sur un thème identique, ici décliné en deux ambiances. Parce qu’une œuvre doit toujours avoir un début et une fin, un postulat, un cheminement puis un aboutissement. Ce schéma intellectuel prévalant aussi en pop music, les Coral l’ont à ce point assimilé que ce disque sorti de leurs archives n’a jamais paru si abouti. Les compositions s’enchaînent sans hiatus, sans faute de goût ou digression inutile – sauf peut-être le petit emprunt à On The Run de Pink Floyd sur Wrapped In Blue –, l’une complétant l’autre sans jamais en briser la magie intrinsèque. Oh, on découvre bien des petits sommets dans ce mécano émotionnel : View From A Mirror, Gently, Willow Song sans omettre de citer le simplissime et auroral The Game. Et malgré le vivifiant et pulmonaire The Watcher In The Distance, c’est tout naturellement que The Curse Of Love livre à l’auditeur son lot de ballades et de mid-tempos à l’architecture de cristal. Comme ces chansons lumineuses, le rêve de l’auditeur menace de se briser sur quelque récif jusqu’à ce qu’il décide, ensorcelé par ce vaisseau aux cales pleines de joliesses, d’y embarquer à nouveau. Pour voguer vers une contrée où les hipsters ne sont jamais passés. Sauf de mode.
The Coral, The Curse Of Love (Skeleton Key)
http://www.deezer.com/album/8816461
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