Si l’on en croit la Bible, le suicide relève du péché absolu. Pour les japonais, il s’inscrit dans une tradition mêlant honneur et courage. Quand un samouraï est battu à la guerre, il se fait seppuku. Quelles que soient les valeurs – militaires ou spirituelles – auxquelles l’individu se réfère, celles-ci ne dépassent jamais le périmètre de leurs attributions. Ainsi, il n’existe pas à proprement parler de concept équivalent à l’aune de la pop music. Le suicide, commercial par définition, se veut la résultante d’une mécanique complexe et huilée associant choix artistiques hasardeux, négligences impensables ou je-m’en-foutisme pour le coup assumé. C’est sans doute cette dernière petite idée qui a trotté lentement mais sûrement dans les cerveaux de freaks de Jonathan Rado et de Sam France, duo ultra prolifique de Foxygen, lorsqu’ils ont jeté les premières bases de "… And Star Power". Tout dans leur titre était résumé, son côté partisan du moindre effort, un comble quand on constate que leur troisième galette – ??? – s’avère double. Mais lorsque l’on décide de prendre son courage à deux mains et de se lancer dans une écoute patiente et méritante, on se rend compte que l’opus en question ne procède pas totalement du foutage de gueule annoncé. Au fond, cette dernière – et ultime ? – livraison arrive à produire quelques classiques en puissance comme seul Foxygen sait les écrire. Mieux, on y trouve des perles de beauté mélodique comme Coulda Been My Love. Mieux encore, on assiste, éberlué, à la première mini-symphonie du groupe, Star Power Part I, II, III, IV. S’il ne paraissait si décousu, ce nouveau jalon tiendrait du génie total mais à tout bien réfléchir, c’est peut-être à cet instant que Foxygen prouve sa vibrionnante maturité au-delà des déboires infantiles qui ont marqué son actualité des derniers mois. Et si Jonathan Rado et Sam France avaient tout bonnement livré leur Trout Mask Replica à eux ? Comme pour le chef-d’œuvre de blues cubiste signé Captain Beefheart & His Magic Band, Foxygen a poussé jusqu’au bout sa vision hippie du monde musical. Loin des standards en vigueur, les deux jeunes songwriters arrivent à faire cohabiter pop songs parfaites et brûlots expérimentaux – parfois aux frontières de l’audible – mais avec cet amour du bel ouvrage, des productions fastueuses et des classiques soul qui les rapprochent aussi d’un Todd Rundgren. La vérité est qu’aujourd’hui aucun label n’oserait réellement valider un tel projet. Quel directeur artistique ne remettrait pas tout simplement en cause le contrat de ses deux poulains ? Même s’il possède deux ou trois titres diffusables sur les ondes – et encore –, And Star Power déconcerte par sa dimension, son aspect multidirectionnel qui le rend inapte à toute exploitation médiatique et au succès des ventes. Il représente aussi un format qui n’a plus cours de nos jours, renvoyant automatiquement à un passé révolu. Ainsi, Foxygen n’est pas tant représentatif des sixties par le seul truchement de sa musique, certes très référencée, mais bien par sa volonté d’en embrasser les codes, tout du moins d’en restituer le formidable souffle de liberté. À l’époque un magnat aurait sans aucun doute accepté de financer à fonds perdus leur entreprise sans les assujettir à un contrôle quel qu’il soit. Pour une raison très simple : l’industrie musicale, encore naissante, ne considérait pas la pop comme un placement solide, plutôt comme une fantaisie, un caprice de milliardaire. Une fois les capitaux injectés, on laissait studio et personnel – autant dire les jouets neufs – entre les mains des petits artistes gâtés. Ils pouvaient dès lors se livrer à tous leurs fantasmes en matière d’enregistrement sans qu’une main bienveillante ne les ramène dans le droit chemin. Cette attitude était – si l’on ose dire – monnaie courante entre 1967 et 1969. Quand les mécènes comprirent que des stades pouvaient être remplis, le rationalisme devint alors la règle. En 2014 si le business domine toujours, pervertissant trop souvent la créativité musicale – surtout par manque de dirigeants éclairés et cultivés à sa tête –, une authenticité relative a permis à la production indépendante de survivre ; mais pas au prix de la démesure et de la mégalomanie. Toute chose qui semble guider les deux enfants terribles de Foxygen. Jusqu’à ce que, l’année suivante – hé oui, ils ont également hérité de la régularité made in sixties – ils nous reviennent avec un nouvel opus aux options radicalement opposées. On avait cru comprendre que Foxygen ne manquait pas d’air.
Foxygen, ... And Star Power (Jagjaguwar)
http://www.deezer.com/album/8621974
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