Précédé d’une réputation aussi flatteuse que méritée, Moodoïd – soit Pablo Padovani et ses quatre girls – livre enfin son premier opus. Et crée l’exploit. Dans un monde, celui du rock contemporain, dominé par les formats courts et les guitares ascétiques, Moodoïd ressuscite l’esprit gonflé à l’hélium du Gong des premiers âges. Et vous envoie direct dans l’espace tout en revoyant au Fish Rising de Steve Hillage. Le Monde Möö, c’est le nom de l’album, flashe donc autant vers les guitares bavardes que les claviers stellaires des années 72-76 et ce à une époque peu encline à ce genre de partis-pris soit disant datés. Il fallait oser. Le coup de génie, c’est d’arriver à faire passer la pilule psyché-prog à ceux-là même qui la dénigraient depuis toujours. Moodoïd est devenu hype, sa musique fréquentable, ses choix – y compris les plus contestables pour l’amateur assumé de rock symphonique – tous validés. Automatiquement. Le mauvais goût s’est transformé en vision artistique exigeante. Cynisme mis à part, c’est que l’album propose une musique en vérité palpitante, osée, culottée même, avec ses dérives, ses aspects too much comme sur Heavy Metal Be Bop 2 – les Brecker Brothers apprécieront – au syncrétisme plus que douteux. Tour de force d’autant plus notable que Moodoïd a choisi la langue de Perec pour s’exprimer, agrégeant à un rock cosmique un vocabulaire tribal, réduit à sa plus simple expression, quasi impressionniste. Je suis La Montagne tout comme La Lune – dont il est l’écho le plus fidèle mais qui se trouve hélas absent du vinyle – en sont la traduction la plus flamboyante. Ce n’est pas là l’unique transgression. Moodoïd a abandonné la sève pop qui irriguait des titres foutraques mais immédiats comme De Folie Pure pour embrasser un idéal conceptuel et polyphonique dont les sidérantes explosions soniques détonnent dans le paysage musical français. Que dire des Chemins de Traverse à l’exotisme toc – marque de fabrique de Moodoïd – que vient perturber le duduk charmeur de Didier Malherbe, oui Didier Malherbe ; le mythique saxophoniste de Gong et compagnon de route de papa Padovani, jazzeux de son état et qui souffle ses cuivres soyeux sur l’album. Même traitement pour Bongo Bongo Club, aussi fou qu’une chanson de Martin Circus. Le modernisme sérieux en plus. Machine Metal au synthétisme scintillant apparaît comme une faille temporelle dans ce magma de sons chauds, mouvants, aussi fluides que le T-1000 de Terminator 2. À ce propos, il convient non pas d’écouter Le Monde Möö dans le désordre mais en respectant scrupuleusement la tracklist, d’une seule traite, cul-sec pour ne pas en gêner la compréhension, afin de ne pas gâcher le côté "trip". Pour aller plus loin dans l’experience, il faudrait s’isoler au maximum soit en limitant l’écoute à une seule unité géographique, un salon et un siège confortable, profond, dans les bras duquel on viendra se nicher puis se lover dans une pose fœtale formidablement en accord avec le style de la musique. Si une telle configuration semble impossible, alors on préférera un simple casque de facture honnête, raccordé à un ensemble hi-fi à la compétence reconnue. Un tel disque l’exige. En suivant ces recommandations somme toute étranges, vous ne serez en rien déçu du voyage car c’est bien d’un voyage dont il s’agit. À travers le temps, à travers la matière même du rock, un voyage sans fin parce que cent fois renouvelé – il suffit juste d’appuyer à nouveau sur play –, qui vous propulsera dans un Espace – géographié sur la pochette – bizarre et rassurant. Sans doute la maitrise du jeune musicien y est pour beaucoup. Car bien qu’assemblé de façon hétéroclite, l’album se montre plus cohérent qu’il n’y paraît. Le langage progressif, s’il se complet à tout accepter, se veut aussi celui de la virtuosité réglée au millimètre près. Rien n’est laissé au hasard, entre trois breaks, quatre impros et deux soli. Tout ça nous le disions avec l’assentiment des pisse-froid. C’est précisément là où réside l’exploit sus-cité.
Moodoïd, Le Monde Möö (Disques Entreprise)
http://www.deezer.com/album/7953982
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