Avi Buffalo, deuxième effort et réconfort

par Adehoum Arbane  le 22.09.2014  dans la catégorie A new disque in town

Loin des poses affectées et des refrains taiseux, le rock sincère existe encore. Généreux, il se donne comme le font parfois les adolescents lorsqu’ils plongent, corps et âme, dans leurs premiers émois pubescents. At Best Cuckold, deuxième effort de Avi Buffalo, confirme ce que le single – le lumineux So What – esquissait déjà. Une musique aussi tendre qu’échevelée, à la fois bravache et profonde qui n’est pas sans rappeler les instantanés crus – figés ou filmés – signés Larry Clark ou les plans sourds de Gus Van Sant criant pourtant leur vérité, comme dans Paranoid Park. Avigdor Zahner-Isenberg a fendu l’armure, brisé la chrysalide, impudiquement, laissant sourdre un monde intérieur fait d’amours déçues, de café en volutes éphémères, de souvenirs qui vous collent à la peau comme des tatouages de jeunesse. Ineffaçables. Cette porte de chambre d’ado ouverte, c’est aussi pour le jeune leader – 23 ans seulement – l’occasion de libérer littéralement sa musique, de l’abandonner à la curiosité volubile de ses intuitions. Ainsi, les chansons de Au mieux cocu se trouvent-elles enluminées par une production plus aventureuse qui ne trahit en rien le style doucement abrasif du groupe. On s’en rend compte à travers les moindres détails qui émaillent Memories of You – claviers en gazouillis, cuivres roucoulants, sitar électrifié – le tout plongé dans un bain de chœurs miraculeux. Mais ce n’est pas là l’aspect le plus frappant de ce deuxième opus, ou plus largement, d’une musique mieux dessinée qui donne l’impression de laisser de côté l’approche punk folk lo-fi du premier album pour embrasser une forme de plénitude où le piano se fait parfois le vecteur premier des émotions primaires. Non pas vulgaires mais toute à la fois fécondes et nombreuses, tourbillonnants comme des cheveux noués par des doigts imaginaires autour d'un manche de guitare ou de basse. Ainsi, la richesse des idées ne vient jamais surligner le sens profond des textes, et l’évidence de surgir – faite sons et mots – dans les premières minutes de Overwhelmed with Pride. Jamais l’art de Avi Buffalo ne se veut passéiste, pas même qu’il ne tente de reproduire bêtement un idiome qu’il a fait sien et qu’il transcende par l’immense honnêteté d’un labeur permanent. Quatre années séparent Avi Buffalo de At Best Cuckold. C’est peu dire que les idées d’Avigdor ont muri, ses états d’âme, ses tourments modelé le matériau musical en gestation. Aujourd’hui, ils retrouvent ses copains d’aventure – certains sont partis, d’autres l’ont rejoint – pour dresser le portrait d’une Amérique déboussolée, jamais brisée dont le singer-songwriter, sur sa propre pochette, se veut à lui seul la métaphore. Presque mis au tapis. Et pourtant non. Non, les chansons d’Avi Buffalo tiennent la route. Elles se tiennent debout, fières, parfois teintées de douce mélancolie – She’s Seventeen, Oxygen Tank ou le final nimbé de Won’t Be Around No More – tantôt espiègles, directes en uppercuts sentimentaux – So What, Can’t Be Too Responsible, Found Blind et le très haut perché Think It’s Gonna Happen Again. Toujours cette authenticité. Elle donne aux compositions de la chair, de l’esprit, une consistance qui fait cruellement défaut aux autres groupes, trop préoccupés à savoir quel synthé exhumer, quelle période de l’historie de la pop ressusciter. Être moderne, tel n’est pas fondamentalement le souci, l’exigence obsédante du leader californien ni de ses musiciens. Etre là, tout simplement, capter une impression, la restituer en mélodie, la jeter comme ça à la foule, les quelques auditeurs amoureux transis du groupe. Avigdor Zahner-Isenberg ne cultive pas son image, il n’a pas de look, n’est en rien un hipster ou un modèle en perfecto. Il se contente d’écrire des chansons et de les produire. Pour cela, il prend du temps, ne cède en rien à l’urgence des médias, des réseaux sociaux, il paresse la tête enfouie dans l’herbe d’un campus ou caressée par les rayons du soleil balancés sur les rampes d’un skate park. Il était à priori cocu, il ne sera pas le dindon de la farce du star-system. Dans quatre ans, il reviendra avec un sac US rempli de merveilles, peut-être emprunteront-elles une autre forme, peut-être iront-elles marauder ailleurs leur inspiration. Une chose est sûre : nous serons là à les attendre, à les écouter dans l’hébétude d’un instant de grâce. Surpris une fois de plus par leur étonnante vérité.

Avi Buffalo, At Best Cuckold (Sub Pop)

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http://www.deezer.com/album/8311162

Photo © Renata Raksha 

 

 

 


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