Bloody hell, les démons n’en reviennent pas. De même que les fans. L’Angleterre qui a réussi à inventer les Beatles, le prog’ – et à l’imposer au monde entier – au grand dame de l’Amérique, cette si perfide Albion a livré à l’humanité un heavy rock ciselé, puissant, aussi noir qu’un paysage industriel du nord-ouest, un hard devenu ainsi légendaire par l’entremise de trois groupes dont il convient de saluer les audaces : Led Zep pour les intimes, Deep Purple mark II pour les connaisseurs et les petits derniers – qui furent au passage presque les premiers – Black Sabbath. Le nom seul fait frémir la mère de famille et jouir l’adolescent néo-gothique. Le sabbat noir. Tout un programme. À la première écoute, le contrat est rempli, nous avons bien affaire à un groupe taciturne, à la violence froide et ce ne sont pas les premières minutes de War Pigs, en référence à la guerre du Vietnam, qui démentiront cette impression. La guitare est lourde et en même temps aussi foudroyante que le coup de sabre qui fend la nuit tendue d’obscurité inquiétante sur la pochette. La voix de Ozzy Osbourne se distingue par son timbre sépulcral, elle fut paraît-il volontairement ralentie au mixage. Le parti pris est radical. Surtout, Black Sabbath se différencie de ses concurrents d’alors, pas blueseux pour un shilling – Led Zeppelin appréciera – et opte pour un minimalisme orchestral, jetant aux oubliettes de l’histoire l’orgue Hammond du Pourpre Profond. Black Sabbath, ou blême sabbat, est un volcan en fusion, une vomissure de lave sur la bienséance pop. Et pourtant, pourtant, ami lecteur, je t’arrête là. Malgré la force implacable du geste sous l’égide de Tony Iommi, point l’agilité. Mieux le swing ! Et oui, le voilà balancé, le mot qui fâche, le terme qui tue. Black Sabbath ou le jazz métal. Il fallait y penser. Il fallait surtout écouter. L’intégralité du disque cela va sans dire mais aussi chaque morceau, et à l’intérieur les différentes parties nichées, prêtes à surgir, sournoises ! Ces passages fondamentalement jazz, à la rythmique élastique, semblent aujourd’hui relever de l’évidence. Félicitions au passage à Terence « Geezer » Butler pour son jeu de basse proprement hallucinant. Il s’impose comme le contributeur central, épaulé comme il se doit par Bill Ward à la batterie plus véloce que jamais. Cette assertion, aussi saugrenue soit-elle, ne se vérifie pas immédiatement et il faut laisser passer l’entame et le single, Paranoid, pour arriver au fait. À ce qui nous intéresse. Planet Caravan possède les atours de la ballade placée en milieu de face A comme pour ménager provisoirement l’auditeur. Le tempo en forme d’accalmie se prête à la comparaison, congas mixés en avant, guitare fluide du couplet au chorus – réellement magnifique –, piano surprenant, voix déformée en second plan comme un soupir d’outre-tombe. Cependant la citation ne vaut pas exemple. Iron Man retrouve les inflexions brutales de War Pigs mais c’est avec Electric Funeral que les choses commencent sérieusement. Le nom est à lui seul un jeu de fausses pistes, hypothèse que le début du titre confirme en apparence avec son riff tronçonnant. Et quand arrive le pont, la basse se met à glousser, swinger, se déhancher de façon sauvage et sensuelle, le refrain appuyant cette sortie avec une certaine grandiloquence qui correspond finalement bien à l’art de Black Sabbath. Mine de rien et faisant abstraction de la suite, au demeurant passionnante, c’est une brèche que le groupe vient d’ouvrir. L’esthétique métal qu’il est alors le seul à incarner véritablement, littéralement, est pour un court instant bousculée. Le groupe montre un tout autre visage, fort intéressant, que celui de faiseurs de bruits. De suppôts de Satan. On trouve ainsi dans cette masse poisseuse et sombre des joliesses, des subtilités, un éclectisme même qui restent l’apanage des formations pop de l’époque. Précisons dans la foulée que les termes de hard rock, de heavy ou de métal n’étaient pas encore entrés dans les esprits. À l’aube des années soixante-dix les groupes faisaient de la pop, privilégiant autant les flûtiaux que les murs d’ampli. La musique populaire n’était pas encore diversifiée, segmentée, plaisant aux uns, parlant aux autres. Le mérite de Black Sabbath n’en est que plus grand. Parce qu’au fond le groupe a su violer les règles qu’il était en train d’édicter, prouvant ainsi une ouverture d’esprit toute britannique. Les conservateurs ne sont pas toujours là où l’on croit. Le quatuor de Birmingham ne renvoie pas le jazz – ou un certain swing – à son image de genre élitiste pour grand oncle binoclard et rasoir. Il démontre également que le hard, pour être avant tout violent, peut être beau. Au fond, le rock des origines n’était-il pas un jazz rythmé, combinant blues et gospel – le rhythm’n’blues en vérité – et tout compte fait un genre fait pour danser ?
Black Sabbath, Paranoid (Vertigo)
https://www.youtube.com/watch?v=hQ_yfi48dQ8
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