La disco, cette infamie ! La disco fut à la musique ce que le bling-bling fut à la classe politico-médiatique. Comme si l’on avait réuni Julien Dray et DSK sous le regard bienveillant de Berlusconi. La disco, maladie des seventies. Mais derrière le fard, se trouve pourtant le faste. Derrière les paillettes, l’étincelle. De génie il va de soi. Tout commença avec le glam, verrue en carat surgi du visage du rock à l’aube de l’année 72 où Ziggie était encore l’incarnation d’un certain rêve pop. Au mitant de la décennie, portées par les extravagances funky des super groupes de jazz rock, les formations disco envahissent les clubs, investissent les pistes. C’est Friday On My Mind version fiévreuse. De son côté, la pop dans son versant anglo-tradi attend son heure. Deux groupes vont incarner cette contamination d’une certaine esthétique toc malgré tout canalisée, cadrée dans le périmètre respectable de l’idiome pop. Le premier vient de loin. Jusqu’aux tréfonds des brillantes sixties. Electric Light Orchestra est né des cendres des Move, mené par Roy Wood, et de Idle Race guidé par Jeff Lynne. Après six albums et autant de tubes, alors que Wood a quitté le navire spatial, ELO sort un double album, peut-être son grand œuvre : Out of the Blue, expression typiquement anglaise dont on use pour évoquer un événement soudain et inattendu, à la manière d’une tempête. Électrique dans le cas présent. Nous sommes en 1977. Les plateformes boots font le pied de grue. Les musiciens de ELO n’en ont cure. Leur ambition de produire un rock énergique aux accents pop baroques prend forme dans ce Lp dantesque à la pochette aussi rutilante qu’une Cadillac intergalactique. À écouter les morceaux, l’influence des Beatles phase terminale, c’est-à-dire Abbey Road, est flagrante bien qu’elle atterrisse sur une piste tapissée des neiges éternelles de la cocaïne. Nonobstant ce petit détail, le résultat est joyeux, euphorique, osé aussi. Les violons s’accouplent aux synthétiseurs dans une orgie sonore que Jeff Lynne, seul maître à bord, distille et contrôle à la seconde près. L’album multiplie son lot de classiques qui atteint son point d’orgue avec Mr Blue Sky, morceau qui aura été presque perverti par les artifices de la publicité mais qui survit aujourd’hui, surtout lorsque l’on l’écoute au milieu des seize autres titres. Foisonnant, vivifiant, usant même, Out of the Blue est l’un de ces disques qui firent oublier les scories de cette fin de décennie, tenant même tête au punk braillard. Un an avant, un autre groupe d’esthètes brille par la majesté jouissive qu’offre sa musique. 10cc sort son quatrième album : How Dare You!, On se le demande encore car il fallait oser cette pop d’orfèvres un brin mégalo. D’autant que Graham Gouldman et Eric Stewart avaient déjà eut le bon goût de livrer durant l’été 75 LE slow, l’unique, le seul, un tube solaire, languide, presque eighties : I’m Not In Love. Déjà le nom en disait long. 10cc c’est la mesure d’eau que Albert Hofmann utilisa pour synthétiser les premières doses de LSD. On trouve dans les textes du groupe des références à la drogue mais celle-ci a sans doute ouvert plus de perspectives en matière de création pour les quatre musiciens et songwriters. How Dare You! est à l’image d’un gros gâteau, d’une pièce montée constituée de strates infinies et de couleurs variées. L’opus, le meilleur de 10cc à ce jour, dégouline de trouvailles incroyables que les musiciens assemblent et orchestrent à merveille. Tant et si bien que les dites chansons reprises en 77 sur l’album Live and Let Live sonnent aussi bien que leurs versions studio. Bien que 10cc soit anglais, sa dimension très rock le classe du côté des formations américaines et ce malgré la très grande sophistication de morceaux comme How Dare You/Lazy Ways, I’m Mandy Fly Me, Iceberg ou Don’t Hang Up. Ainsi, Rock’n’Roll Lullaby conserve une classe toute britannique avec cette efficacité empruntée aux structures du blues. En fait, la chanson sonne comme un vieux tube de crooner joué à sept heures du matin dans un casino par un chanteur de charme fatigué mais cependant toujours en piste dans son smoking étincelant. Même constat pour Head Room qui possède un charme identique. Avec Get I While You Can, on songe au talent d’un Macca période Wings. Réduit à un trio, 10cc donne l’année d’après quelques motifs de satisfaction avec Deceptive Bends, enchaînant avec un peu moins d’allant les perles. The Things We Do For Love, Marriage Bureau Rendezvous, Honeymoon With B Troop et la longue suite Feel The Benefit dont l’introduction à la guitare rappelle les motifs de Dear Prudence de Lennon. Au fond, le travail de ces deux formations extrêmement populaires des deux côtés de l’Atlantique se rapproche de l’esthétique de la plupart des formations des seventies. Cette exigence en matière de son et de production que l’on retrouve pêle-mêle chez Al Stewart, Elton John, Badfinger, Supertramp, Kate Bush, Alan Parsons Project. Une aspiration qui valut à certains de rejoindre la famille ultra pointue de l’Art Rock. Pendant ce temps-là, la disco continuait d’exhiber ses boules sans explorer la moindre facette.
Electric Light Orchestra, Out Of The Blue (Jet Records)
http://www.deezer.com/album/72346
10cc, How Dare You ? (Mercury)
http://www.deezer.com/album/122655
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