C’est un fait, le rock français a longtemps sonné propret, gentillet. Cette réalité, comme l’avait chantée Téléphone dans Un autre monde, est aujourd’hui quelque peu bousculée par une nouvelle génération de musiciens frondeurs. Melmoth parlait en son temps des rockeurs – prononcez rockeurses – au blouson de cuir. Qualificatif qui colle perfecto à Marc Desse, sorte de Patrick Dewaere pop en mode urbain. De l’aveu du jeune homme, ce premier album a été écrit et enregistré à une période mallarméenne de son existence. D’où cette musique larvée de guitare sale et d’ambiances malades. Nuit noire puisqu’il s’appelle ainsi est un manteau qui vous enveloppe lorsque la rue est menaçante, quand les rêves s’apparentent à des cauchemars ou que les amours déclinent en même temps que le soleil. Les dix chansons balancent entre saillies électriques et claviers marmoréens donnant l’impression de voir Manchester ou Detroit délocalisés en France. Ce qui frappe surtout dans cette œuvre sincère, à l’état brut, c’est sa lisibilité. Une évidence qui doit surtout au langage pop dont Marc Desse s’est fait l’ambassadeur. L’interprétation, elle, se la joue modeste, minérale. Au cordeau. Ainsi l’album s’emprunte comme un tunnel que l’on traverse cul sec, d’un trait. Cohérence d’une formule dont le musicien et son groupe ne s’éloignent jamais, si ce n’est pour passer d’une ambiance à l’autre, d’un titre fulgurant à une ballade bringuebalante. Sans heurts. Idem pour la voix dont les variations suivent la courbe du cœur comme si l’homme faisait littéralement corps avec sa musique. Parfois, celle-ci semble tituber puis se briser sur les tessons de la nuit – l’impressionnant morceau titre –, à d’autres moments elle retrouve toute sa puissante masculinité à l’image du linéaire Faits d’hiver dont l’urgence prime à chaque seconde. Le plus frappant tient surtout au fait que Marc Desse, s’il assume sa lignée au blason élégant & sauvage, se montre tel qu’en lui-même, sans faux-semblants. Bien plus que cela, l’artiste se livre littéralement et impose ainsi le tempo de ses propres couleurs. Elles éclatent comme des bosquets impatients dans Ma Fiancée – bien sûr – mais aussi dans le surprenant et tendre Giverny. Artiste des sentiments, Desse démontre avec fougue qu’à la nuit succède toujours le jour, qu’un espoir est toujours possible tant qu’il arrive à prendre forme. L’incarnation, autre vérité de ce premier opus fatal, jamais fataliste. Il y a de la chair dans les lignes de guitare de Marc Desse autant que dans ses mots, simples mais fouillés. On la caresse puis la saisit impudiquement pour la dévorer ensuite dans un cannibalisme trouble que n’aurait pas renié Goya. Et les coups de poignard synthétique, très new wave, n’y feront rien. Cet homme-là sue l’honnêteté. Musicale il s’entend. Voilà pourquoi il faut écouter, encore et encore, Nuit Noire et ses dix diamants dans leur écrin de cuir. Jusqu’aux Larmes. Voilà pourquoi il faut voir en Marc Desse un fils spiritueux de Iggy Pop en maraude berlinoise ; nightclubbé. Voilà pourquoi il faut se féliciter de voir la France sortir la tête de son trou, d’oser cette langue magnifique, sensuelle et ouvragée, paradoxalement et étonnement rock. Voilà pourquoi, enfin, il faut croire en l’avenir. Regarder droit devant. Vers l’horizon. Celui de Marc Desse semble moins contrarié, libéré des peurs, toisant un destin qui s’écrit ici en mélodies de sang ; celui du pacte que chaque auditeur curieux signera avec l’intéressé. Un beau diable de rockeur. Salement inspiré mais proprement touchant. En trente neuf minutes et cinquante six secondes seulement, il nous aura fait vivre un instant heureux.
Marc Desse, Nuit noire (Bordeaux Rock)
http://www.deezer.com/album/7799073
Commentaires
Il n'y pas de commentaires