On a beau chercher les superlatifs, le plus beau compliment que puisse recevoir un album n’est-il pas de donner envie d’en écouter un autre ? Oui, Rain Plans de Israel Nash donne envie de réécouter No Other de Gene Clark. Car il emprunte d’une certaine manière la même voie. Il ne s’agit pas de faire passer le premier pour un copiste. Disons que l’Americana, puisque c’est de cette musique dont il est question ici, se plait à répondre à un autre mot, la tradition. Israel Nash s’inscrit dans une tradition. Un héritage. Dans ce contexte précis, rien ne lui interdit d’user et abuser de la pédale steel, de l’harmonica ou de la mandoline, de ces ambiances pastorales et spatiales que quelques pionniers – le mot a du sens – ont exploré avant lui. Il peut logiquement reproduire ces rituels tant que ses chansons possèdent leur singularité propre. L’écriture est ainsi un vecteur essentiel de cette personnalisation d’un idiome musical. L’interprétation également. Fort heureusement Israel n’a de Nash que le nom et sa voix, grave et chaleureuse, n’essaye jamais d’imiter. Son style navigue entre country tradi et ballade épique, un entre-deux-eaux qui permet de ménager dans ce disque impeccable de nombreuses surprises. Comme ces ruptures de rythme et ces envolées magnifiques qui consituent la trame du morceau titre, rock ascensionnel et à sensations. Comme si on l’on découvrait In The Court Of The Crismon King rejoué par un orchestre rock du Nevada. Même constat avec Myer Canyon dont l’inspiration, sur la toute fin de la chanson, caresse un rêve d’orientalisme ; on pense aux premiers accords de The End des Doors. Même combat pour Renaximarum qui referme l’album sur une note plus échevelée. Dans ces pages humant bon une histoire mélodique de l’Amérique – l’homme n’est étonnement pas distribué dans son propre pays –, Israel Nash se montre également capable de livrer des refrains parfaits ayant cette vertu de faire mouche immédiatement. À ce propos, Through the Door représente à n’en pas douter LA chanson de l’opus, à la fois immédiate et riche de ses moindres secrets ; son final a tout du traumatisme émotionnel. Seul reproche que l’on pourrait faire à ce disque, la production dont le grain donne l’impression d’écouter un vieux vinyle usé, de ceux que l’on se repassait en boucle avant de les transmettre à un fils, un ami ou de les laisser au fond d’un carton oublié dans les entrailles poussiéreuses d’un grenier. En soi, la chose n’est pas gênante, les chansons distillant la chaleur propre au format, également semblable à ces feux de camp que des cow-boys éreintés allumaient dans la nuit bleue du désert. Comme pour signifier qu’ils étaient encore là, au milieu du vide nocturne et de la nature sauvage. Sauvage, un mot qui semble aussi convenir à la musique d’Israel Nash qui parfois s’ébroue dans quelque solo électrique, rappelant que le rock est une affaire d’émotion brute, tantôt lancinante comme une douleur, tantôt violente comme un coup de poing dans l’estomac. Pas forcément une affaire d’hommes – il ne s’agit point de passer pour un sexiste arriéré – d’autant que la chanson semble être la reine de cet opus minéral. Il y a dans ces neuf thèmes une sensibilité poignante, une dimension hors norme – deux mots à la douce féminité – qui rompt avec les usages du rock contemporain. Une musique d’écorché vif, tannée, burinée par les années et les instruments dits vintage. Le sont-ils vraiment ? Ce débat a-t-il encore un sens ? Seul compte la force de l’idée nichée dans un refrain, un couplet, une composition. De cela, Rain Plans en est pourvu. Et bien plus encore. Il y a une richesse, une surprenante inclinaison à bifurquer, d’un titre à l’autre certes mais aussi au sein même d’une chanson. Ce sentiment de perdition, d’abandon est bien sûr l’apanage de cette space country ondoyante, lumineuse comme un torrent. Une rivière qui n’est autre que le cours d’eau du Temps. Écoulé ici en mélodies. Par un musicien dans tous ses états d’âme et rimes.
Israel Nash’s Rain Plans (Loose Music)
http://www.deezer.com/album/6878003
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