Monkees ou Talk Talk, leur plus grand mérite fut de franchir d’un pas de géant la frontière qui sépare le phénomène préfabriqué de l’authentique formation rock. The The Horrors appartient à cette catégorie. Ils n’étaient qu’un simple groupe garage gothique pour minettes. Ils sont devenus en trois albums seulement l’un des noms les plus prometteurs des années deux mille. Luminous, le dernier en date, achève cette mue sidérante en plongeant le groupe dans le bain de la modernité à grand renfort de synthés stellaires. Les premières secondes du disque en posent désormais les bases. Solides. Impression de jungle sonique. Les pales analogiques fracturant l’espace avec grâce. Chassant les ombres. La voix de Faris Badwan s’en détache dans un rêve de paradis lointain. Figure angélique succédant à celle du punk horrifique des débuts. Les doutes étant maintenant dissipés, l’écoute complète de Luminous réserve son lot de merveilles en apesanteur. Portées par le timbre chaud, profond de leur leader démiurge. Tel un Lee Hazlewood des temps nouveaux dans sa chrysalide enfantine. Tout en conservant un esprit novateur, The Horrors trouvent dans cet album une expression plus directe, un son entier qui les propulse droit vers l’éternité. À l’écoute de ces dix chansons, on ne se pose plus la question de l’ancien et du contemporain – donc des influences – ni à les rapprocher d’un homologue, encore moins à les rattacher à un quelconque mouvement. The Horrors arrivent au stade où ils atteignent à travers leur musique une forme de vérité, la leur. Il y a beaucoup d’intelligence dans le travail mené par le groupe, pas seulement dans le songwriting – on commence à entendre de vraies chansons –, mais dans la façon de couler littéralement les guitares en fusion dans les lames de fond rougeoyantes des synthétiseurs démultipliés. Nos Horreurs se font alors les sculpteurs d’une matière musicale épaisse qui semble se refroidir, ou plus précisément se cristalliser au contact de l’air. Comme ces pierres noires jonchant les sols volcaniques et qui ont l’apparence trouble des diamants. I See You, single en longueur et langueurs – un de plus – relève du paroxysme, du climax alors qu’il survient en deuxième position de la face b. Façon de dire que le groupe en a encore sous le pied et ses nombreuses pédales d’effets. Après un tel déluge électrique, Change Your Mind surprend quelque peu. Cette authentique ballade réhabilite les guitares qui se font ici tendres et moelleuses. Un mood qui peine à empêcher, au moment où le refrain éclate comme une grenade de joie, les inflexions synthétiques de signer un retour en force. À travers ce titre, The Horrors prouvent et avec quel brio leur aptitude à écrire des classiques incarnés. Dès que la dernière minute se désagrège pour laisser place au silence, on songe. Et on comprend alors pourquoi le groupe a repoussé la date de sortie de son disque. Par perfectionnisme ou jusqu’au-boutisme, c’est selon. Comme si les musiciens savaient les risques encourus : larguer les amarres de leur inspiration et leur public avec. Décevoir d’avoir trop voulu jouer les Icare de la pop. Rien de tout cela bien évidemment. Luminous sonnant parfaitement dans nos esprits avides de nouvelles aventures rock. Le seul défaut notable de cet album passionnant et beau serait peut-être la manière quasi récurrente dont les chansons se terminent, tranchantes et abruptes, comme si on avait coupé le courant. C’est peut-être parce que les meilleures choses ont une fin, qu’un trip, aussi magnifique fut-il, doit amorcer sa descente, voire s’arrêter tout net au risque de nous faire vaciller dans on ne sais quel trou noir. C’est bien pourquoi on éprouve alors cette incorrigible tentation d’y retourner aussitôt. Y tutoyer les abîmes.
The Horrors, Luminous (XL Recordings)
https://www.youtube.com/watch?v=CN0jkdTvl9s
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