Beck, toujours en Phase

par Adehoum Arbane  le 14.04.2014

Avec sa discographie à faire pâlir Stakhanov en personne – plus pour la variété de ses propositions que le nombre d’albums à proprement parler –, sa triple casquette de compositeur, multi-instrumentiste, producteur, Beck pourrait gentiment se la péter ou pire, s’endormir sur des lauriers grassouillets. Le blondin le plus célèbre des années 90 nous revient six ans après nanti d’un nouvel album. À quarante quatre ans, on aurait pu le croire dépassé, usé, essoré. Dommage pour ses détracteurs. Morning Phase est l’album de la maturité, quand un artiste arrive à un âge certain et qu’il a déjà beaucoup accompli. Il n’éprouve dès lors nul besoin de réinventer les choses, d’initier d’étonnantes révolutions stylistiques. Mais aspire plutôt à retrouver l’essence de la musique : cette martingale de la bonne chanson qui se promène un temps dans les têtes, qui part pour mieux revenir. Avec Morning Phase, contrat rempli ! Et plus encore. Si Beck prouve qu’il est un mélodiste compétent, voire doué – on fredonne aisément des joliesses comme Morning, Say Goodbye, Don’t Let It Go ou Blackbird Chain –, il surprend davantage par sa maîtrise évidente dans le travail du son et de la production. Pour sublimer des ballades relativement classiques mais non dénuées de charme, Beck opte pour les grands espaces. L’amplitude de l’enregistrement et du mixage est ici confondante. Si elle peut parfois donner l’impression du goût du métal, d’une homogénéité trop lisse, elle parvient au bout de quelques écoutes studieuses à révéler la richesse extrême des idées de son géniteur. Beck a truffé son disque de couches, de niveaux que l’on découvre progressivement et qui confèrent au disque, très cohérent dans son ensemble, un impact, une profondeur telle que l’on y revient en permanence. Sans doute pour essayer de débusquer une trouvaille de plus. Et paf, on y arrive ! Beck s’est voulu généreux avec ses fans mais aussi avec ceux qui ne le connaissent que de nom. Derrière l’ambiance acoustique, pastorale, les violons, la slide et les claviers innombrables – mais totalement fondus – apportent à chacun des titres une touche spatiale, propice au songe et à la méditation. Morning Phase est tout comme Harvest de Neil Young ou le Live Dead du… Dead, un album fait pour planer tranquillement sous d’autres cieux. Une relecture contemporaine de ce country rock dont avait rêvé durant sa trop courte vie Gram Parsons. Bien qu’il ne s’apparente pas réellement à de la country music ou à de la folk. Ni même à du classic rock ou à de la pop sautillante. Beck a livré un disque psychédélique sans psychédélisme. C’est-à-dire une œuvre pleine d’envolées et d’émotion, à la fois céleste et terrienne. Des chansons d’hier et d’aujourd’hui. Un album intemporel qui ne prétend pas à devenir éternel. Morning Phase est un disque où l’on se sent bien, non pas à l’image d’une vieille baraque perdue au milieu des bois. Mais davantage à un bon vieux canapé où l’on voyage sans jamais se lever. Bien sûr, ce canapé décati ne serait rien sans la bonne vieille platine vinyle qui l’accompagne lui et son propriétaire vers de nouveaux rivages immatériels. Petit détail qui semble trivial à ce moment de la chronique, mais il convient de préciser pour les néophytes que Morning Phase prend toute sa dimension sur format 33 tours. L’album retrouve un peu de chaleur et donne à chaque piste, chaque son la possibilité de s’exprimer. Chose devenue rare de nos jours tant la musique, abus de synthés et compression mp3 obligent, paraît parfois étriquée, brillant par un cruel manque d’ambition. Certes, Morning Phase n’est pas le chef-d’œuvre qu’on espérait, mais il semble évident que l’objectif n’était pas là. Le californien cherchait juste le beau. Il l’a trouvé, et nous aussi.  

Beck, Morning Phase (Capitol)

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http://www.deezer.com/album/7406918

 

 

 

 


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