À l’heure où le grand manège médiatique jette en pâture la vérité crue dans un cynisme, si ce n’est décomplexé, tout du moins assumé, y-a-t-il encore une place pour la fantaisie ? La légèreté ? Sans le vouloir, c’est la question que sous-tend l’existence même du tout premier album de Dorian Pimpernel après des années d’oisiveté rêveuse et créative qui a vu ses musiciens assembler méthodiquement leurs comptines semées ensuite telles les cailloux du petit Poucet sur la toile. Car cette musique de facture classique – en apparence seulement – se veut fortement imprégnée par l’innocence d’une enfance en forme de paradis perdu où l’imaginaire est roi. Derrière leurs poses graves, leurs visages d’étudiants anglais échappés d’un collège de Canterbury, nos cinq esthètes ont élu demeure, comme le chantait Gainsbourg, au pays des malices de Lewis Carroll. Malice, candeur, espièglerie, autant de qualités préservées comme des secrets par ces gosses flottant tels des angelots dans leurs habits d’adultes. Par quoi commencer, comment étayer la thèse, un brin osée ? L’intitulé des chansons représente le premier indice. Ces noms sonnent comme des formules magiques – peu éloignées du Superlacalifragilisticexpialidocious de Mary Poppins –, des sucreries douces (Coodooce Melopoia) ou des bouts rimés tout droit sortis d’un poème de Jacques Prévert. Humour doucereux qui trouve son point d’orgue dans le titre de l’album, Allombon au double sens nous interpelant comme ces mains animées et (v)indicatives qui peuplaient les Monty Python Sacré Graal, Le sens de la vie, La vie de Brian et autres imbécilités jubilatoires. La technique ensuite. Chez Dorian Pimpernel, les instruments, nombreux, sont pareils aux jouets qui s’accumulent dans les nurseries. Nos musiciens semblent avoir pioché dans leur studio d’enregistrement comme dans un gigantesque coffre-caverne aux mille merveilles. Avec cette prouesse – et il convient de le noter – de ne jamais sonner rétro. Parlons enfin des chansons. Expressionnistes, naïves, chamarrées, parfois cruelles à l’image des estampes d’Aubrey Beardsley. La structure des compositions, elle, renvoie aux grands maîtres Pop des temps passés. On pourrait s’épuiser jusqu’au trépas à tous les citer. Gardons à l’esprit quelques-uns et des plus singuliers. La musique de Dorian Pimpernel le vaut bien. On trouve dans ces vignettes charmantes, bucoliques, un petit air – fort bien digéré – de Lothar & The Hand People, et même de Ralf & Florian, surtout pour les délicates touches de modernités éventées par un aéropage de claviers dont les sons sont autant d’onomatopées délicieuses. Comment ne pas songer également aux courts passages ultra mélodiques qui truffent le Supper’s Ready du Genesis leadé par Peter Gabriel. La voix enfin, presque féminine, comme la porcelaine d’un service à thé, autre mot en argot psychédélique pour dire pudiquement LSD. Mais les mélodies ne sont pas tant des buvards, les refrains prononcés avec rondeur des sortilèges que des babillages juvéniles transportant l’auditeur vers des rivages potelés et des chemins le plus souvent de traverse. À l’image du Days Of Future Passed des Moody Blues, Dorian Pimpernel a composé son Fantasia pop. Son Pierre et le loup synthétique. Comme ça, en repartant de zéro, exception faite de Ovlar E qui appartient à l’ancien répertoire. Pour le reste, nous avons affaire à ce genre de chansons qui aident la médecine à couler. Qui rendent les folles turpitudes contemporaines un peu plus inoffensives ou du moins essayent de nous en préserver. Un état de grâce figé dans le temps pour ne penser à rien d’autres qu’à des voyages toutes voiles dehors sur des océans de sirop, poussé par le souffle des chérubins sous un soleil de plume. Le tout griffonné avec gourmandise par Maurice Sendak. All aboard ?
Dorian Pimpernel, Allombon (Born Bad Records)
http://www.deezer.com/album/7520522
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