Ray Davies composa Sunny Afternoon à 22 ans. Friday On My Mind, unique single des éphémères Easybeats, fut écrit par Harry Vanda alors qu’il n’avait que 21 printemps. Quant à Pete Townshend, il livra My Generation à la postérité à seulement 20 piges. Alors oui on peut le dire. La pop est bien affaire de jeunesse. D’esprit il s’entend, esprit d’insoumission ébouriffée d’un genre en constante évolution, capable de se régénerer, mieux, d’échapper aux assauts perfides du Temps. Pas une ride, donc, ne vint défigurer son visage en presque quarante ans d’existence et autant de révolutions stylistiques à son actif. Au vu de cette réalité, Brian Burton, 37 ans, et surtout James Mercer, 44 ans, font figure de vétérans. C’est peu dire que les deux hommes ont bourlingués depuis un peu plus d’une décennie. James Mercer au sein des Shins incarna par essence, du moins dans ses premiers albums, la fraîcheur de la pop, celle des early Kinks ou des Zombies. Quant à Burton – plus connu sous le sobriquet cartoonesque de Danger Mouse –, sa contribution en tant que producteur – le plus demandé ? – demeure décisive dans sa quête quasi maniaque de modernité ; donc de jeunesse. Sur leur deuxième effort, After the disco au titre quasi prophétique, nos deux musiciens aguerris signent non sans surprise un album de pop adulte, mature, madré. Exit l’impétuosité, le sérieux est ici de mise avec, soulignons-le, une cohérence certaine. En véritables MILF – Musicians I’d Like To Follow –, Mercer et Burton ont mis dans cet album tous ce qu’ils possèdent d’expérience, de techniques et de savoir-faire avec ce supplément de style sinon d’âme qui distingue le bon du moyen. Sans folies, sans trop en faire ni s’égarer dans les limbes de l’orgueil juvénile, leurs chansons s’installent rapidement, prenant possession des lieux, en l’occurrence nos cerveaux, pour ne plus les quitter. Signe évident des bonnes vieilles pop songs. Maîtrisant leur idiome à la perfection, les deux musiciens lui rendent justice – la fameuse perfection – en chanson et ce dès l’entame du disque. Avec Perfect World, ils réalisent ainsi l’exploit de produire un premier single fort bien ficelé et, pour autant, emballé dans un format peu habituel pour la diffusion en radio, soit plus de six minutes au compteur. Puis, sans crier gare, ils enchaînent avec trois autres tubes bien partis pour squatter la mémoire vive de l’humanité, After The Disco, Holding On For Life, où Mercer singe les frères Gibbs, et Leave It Alone au tempo plus ralenti. Il faut préciser à ce stade que Broken Bells semble à l’aise dans son art d’écrire des refrains consistants qu’il s’agisse de "rock" ou de ballade. Le reste de l’album est à l’avenant produisant son lot de chansons impeccables avec une mention pour le très british Lazy Wonderland et Medicine au phrasé d’une grande efficacité. Non sans malice, ils achèvent After The Disco par The Remains Of Rock and Roll – littéralement Les vestiges du Rock – donnant tort à ce bon vieux Corneille lorsqu’il affirmait « aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années ». Privilège de l’âge aidant, James Mercer et Brian Burton livrent avec After the disco un album sinon novateur – ne pas se fier aux clips à la science fiction clinquante – du moins parfaitement délivré, peut-être trop. Seul bémol à noter, un certain manque de spontanéité, une impression de conduite automatique comme si nos musiciens écrivaient sur un rythme de croisière, fut-elle stellaire. Jeter un œil naïf à la plantureuse liste des musiciens additionnels vous plonge dans l’un de ces vertiges en forme de vortex ou de trou noir. Reste une impression agréable, certes confortable, mais jamais pantouflarde, le duo nous emmenant ailleurs que dans la maison de retraite dorée où finissent invariablement les ex stars du rock avant d’exhaler, entre la tisane et le dîner, un ultime râle de vie. Ouf, Broken Bells et sa pop carillonnante ont encore de belles années devant eux. Too Old For Rock’n’roll, Too Young To Die.
Broken Bells, After The Disco (Columbia)
http://www.deezer.com/album/7359046
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