Sous ce charmant patronyme renvoyant au titre d’un livre ludo-éducatif pour bébé surdoué – De La Jolie Musique donc – se c ache un collectif écumant la nouvelle scène pop française depuis maintenant quelques années. Erwann Corré, son leader bricoleur, a patiemment compilé dans cette Mémoire Tropicale, tel un Chateaubriand voyageant à dos de Bat Macoumba, tout ce qu’il comptait de jolies mélodies, idées déjantées et autres textes marrants, malins, courants, câlins. Est-ce là l’unique résumé d’un premier album plus complexe qu’il n’y paraît, insaisissable comme un lion de safari ? Non, bien sûr. Car pour aller plus loin, étoffer le propos, De La Jolie Musique a réussi la fusion quasi alchimique entre pop classique – au sens noble du terme – et spoken word. Cette Mémoire Tropicale, outre bombe moderniste, triomphe rondement là où précisément le projet FAUVE échoue platement. Métaphore carnassière mise à part. D’abord parce que le franc-parler ou le parler français ne reste pas l’alpha et l’oméga de ce premier essai. En musicien studieux et libre, Erwann Corré ne se limite pas à un registre. Il peut distraire par son humeur décalée comme sur Establishing Bling Bling ou le Départ en Vacances tout en balançant, l’air de rien, des airs en tout point parfaits, aboutis, à la fois vibrants et magiques. C’est là que Mémoire Tropicale bascule, se stabilise pour trouver un équilibre radieux. Cohérent dans sa conception – l’ouverture symphonique et le thème final aussi dépouillé qu’une démo –, ce premier opus fait montre d’une rigueur lapidaire non dénuée de charme ni d’emphase. Il y a des titres pénétrants comme des fièvres tropicales inconnues, de celles que l’on contracte en descendant ces grands fleuves équatoriens pour rejoindre le centre du monde dans une masse compacte de jungle inextricable et de mangrove enlacée. Lila, qui s’achève en jazz modal en fait partie. On trouve aussi des passages solaires où scintillent des Méditerranées imaginaires comme dans Métamorphose et l’aride Plein Soleil où la basse dessine des canyons ocre et béants. On peut le dire, Erwann Corré n’a pas la mémoire courte. L’homme arrive à brasser des univers distants, à relier les grands maîtres sixties sans jamais ennuyer ou sombrer dans la relecture artificielle. C’est le cas une fois de plus avec The Last Unicorn, instrumental qui ose mixer les guitares crissantes de Melody Nelson avec les rythmes ciselés d’un Michel Legrand sur le Messager pour finir en trip Herzogien – on pense aux images extatiques de Fitzcarraldo – sur fond de flûtes indigènes à la Popol Vuh. À l’arrivée, nous ne sommes pas en train de parcourir une encyclopédie de la pop ou bien "Les arrangements pour les nul". Derrière la maîtrise, réelle, les choix de production audacieux, DLJM distille une poésie permanente, de ces mots qui n’ont parfois pas besoin de faire sens pour toucher le cœur, imprimer les esprits. DLJM a ainsi créé des "images" ultra parlantes qui à l’instar des refrains squattent les esprits pour de bon, à demeure. Des associations saugrenues, presque surréalistes, comme ces "couleurs indigènes" et autres phrases pures et parfaites : "elle pourchasse les bisons et récolte les bisous", "Il fait vraiment trop chaud, moi j’me lamente à l’eau". Entre tendresse et mélancolie. Pour faire vivre ces combinaisons chamaniques, la voix presque neutre du maître d’œuvre s’impose comme le seul choix, abstraction faite des autres contributeurs. Il y trouve un grain, une solennité rare en ces temps d’esbroufe artistique et de grand show médiatique. Une sorte de discrétion qui se marrie à merveille avec la minutie du son. Car derrière la première impression, aussi chatoyante qu’un kaléidoscope musical s’impose le sérieux, la gravité même. Comme si la réalisation de cet album, étalée sur deux longues années, avait permis de passer de l’adolescence à l’âge adulte, à l’image des rites tribaux dépeints dans la Forêt d’émeraude. De La Jolie Musique. Mais pas que.
PS. Paris, onzième, 8 janvier 2014. Devant le Motel. Rendez-vous avec De La Jolie Musique pour un joli moment scénique intimiste, formation resserrée comme un tweet. Erwann est accompagné de son bassiste fétiche, virtuose de la Höfner, qui officie également aux claviers et de d’une choriste au timbre de cristal. La foule compacte fait penser à ces familles qui se réunissent pour célébrer de grandes occasions. C’est ici le cas. Malgré le lieu, l’esprit décontracté, presque home made, le son est clair, précis, incroyablement riche, aussi touffu qu’une forêt en fouillis. On redécouvre les titres de Mémoire Tropicale dans une ambiance moite, douce. Et on apprécie. Avec ferveur, bonne humeur. Dehors, il pleut. Mais tout d’un coup, ça n’a plus d’importance.
De La Jolie Musique, Mémoire Tropicale (Sauvage Records)
http://www.deezer.com/album/7047154
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