Marie-Flore, questions à la Dozen

par Adehoum Arbane  le 26.11.2013  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

John Lennon que j’ai eu le malheur de ne jamais connaître m’affirma une nuit de rêverie indistincte : « Vous, vous avez Versailles, les châteaux de la Loire et la Romanée Conti. Nous, on a la pop ». C’est peut-être pour cette raison, le verbe anglais et la langue pop, que Marie-Flore a choisi d’avancer dans un format – expression malhabile mais juste – qui n’aurait pas été le sien si elle n’avait absorbé en son temps son contingent d’influences brit’ au rang desquelles figure Nick Drake.  Pour ne citer que lui. Pour autant, sa musique n’est en rien formatée qui s’épanouit tranquillement d’un titre à l’autre, évoluant d’un registre intime à une configuration plus ample, faite d’envolées rock pour le coup largement assumées. C’est le miracle Marie-Flore. La jeune singer-songwriter transcende ses différentes humeurs par son approche emprunte d’un classicisme adroit. Non pas que sa musique, libre, ne brille en rien par son audace. Par classicisme il faut entendre ce que des rock-critics avisés eurent le nez d’appeler Classic Rock. Les rockeurs les plus prestigieux furent rangés sous cet étendard : Dylan, Neil Young, Lou Reed, Lynyrd Skynyrd, Billy Joel aux États-Unis, les Stones, les Who, Richard Thompson en Angleterre. Panorama certes incomplet mais il faudrait plus d’une chronique pour en dresser l’éternelle liste. Quels que soient leur répertoire, leur style, leur plume, tous ces artistes éminents imposèrent au fil des décennies merveilleuses, les mythiques sixties et seventies, leur immense stature. Marie-Flore n’en est certes pas là ou tout du moins, n’affiche pas cette prétention. Elle semble préférer le travail aux sirènes de la pop culture de masse, plus à l’aise encore dans sa démarche quasi artisanale de l’écriture. D’où cette impression de grande maturité à l’écoute de ses chansons. Cerclées dans une instrumentation sobre et une production au cordeau, ces dernières se posent de façon naturelle et pour notre plus grand plaisir. Sur ce tapis musical survole la voix de velours de Marie-Flore, avec grâce, sans ostension, racontant ses histoires, définissant surtout une identité, forcément singulière. À la question de l’album, la jeune femme répond « patience ». Le temps, la maîtrise du temps, telle est la clé. Vérité qui s’impose d’autant plus que les titres de son Ep - dont By The Dozen représente l’évidente figure de proue – ne se précipitent jamais. Ils se révèlent tels qu’en eux mêmes avec discernement et constance. Cette fille adoptive de Joan Baez est bien partie pour se forger plus qu’un nom, un prénom. Pour l’heure, place à la rencontre, aux questions, à la discussion qui, si elle ne s’orchestre pas de la même manière, constitue néanmoins un préalable nécessaire. Alors, Marie-Flore…

Shebam : Le savais-tu seulement, mais ton prénom a inspiré une pop song barrée des sixties, Mary-Flora Bell signée Melmoth ?

Marie-Flore : Je ne savais pas non ! Je viens de l’écouter, effectivement : Barré !

Shebam : Parles-nous un peu de ton parcours ?  Es-tu autodidacte ? As-tu commencé par écrire des chansons d’amour, seule dans ta chambre ?

Marie-Flore : J’ai fait de l’alto au conservatoire pendant 8 ans. Mais depuis que j’écris, je suis autodidacte, surtout à la guitare. Je n’ai jamais vraiment  pris de cours, ou alors deux ou trois fois. Pas très original, je l’avoue. Mais je pense que le point de départ ce sont quatre murs et un chagrin d’amour, non ?

Shebam : (rires) Tu as choisi de chanter en anglais à l’heure où beaucoup de formations pop assument et affichent leurs ambitions en français. Te sens-tu à contre courant ?

Marie-Flore : Pas vraiment, j'écris aussi en français, mais pour l'instant, je ne sais pas ce que je vais en faire. L'anglais n'a pas été un choix, je crois que c'est juste sorti comme ça ! Et puis, la musique et cette langue m'inspirent par dessus tout.

Shebam : L’histoire de la pop a toujours laissé une place aux voix de femmes, des girls group soul sixties aux grandes prêtresses de l’indie folk – Cat Power, Aimee Mann,  - en passant par les légendes que sont Grace Slick, Janis Joplin, Julie Driscoll. Où peut-on te situer ?

Marie-Flore : Ce sont de grands noms… Tu peux me situer… Loin derrière peut-être ? (rires) Je crois que celle dont on me « rapproche » le plus ce serait Cat power. Et à part Janis Joplin, je pêche, je ne connais pas ces chanteuses-là ! J'écoute surtout les hommes (rires).

Shebam : Est-ce une erreur de vouloir sans cesse apprécier la musique des artistes féminines à l’aune de leur sexe ? Faut-il gommer ces différences… Ou pas ? 

Marie-Flore : Je ne crois pas qu'il faut faire une sorte de discrimination positive en faveur des artistes féminines. Ce qui compte c'est ce que les gens ont à dire, je crois. S’ils ne disent rien et sont dans une posture homme – femme, on passe.

Shebam : Et pourtant, on parle beaucoup - et à juste titre - des inégalités hommes-femmes dont le monde professionnel. Est-ce dur pour une artiste de se faire une place dans le milieu de la musique ?

Marie-Flore : La question qui fâche. Le monde de la musique est effectivement assez macho, je trouve. C'est toujours à double tranchant. Maintenant, j'ai une équipe avec qui ça fonctionne très bien, mais il m'est arrivé d'halluciner du comportement de certains « pros » s'étonnant que je sache à l'EQ près ce que je veux lors d'un mix. Il y a toujours un peu ce truc qui flotte au dessus des musiciennes qu'on considère souvent comme des filles qui ne savent pas ce qu'elles veulent. Mais quand elles le disent, elles sont taxées de tyrans en studio, ou sur scène, etc.

Shebam : Si on te dit folk en parlant de ta musique, tu valides ? Ou détestes-tu par dessus tout être mise dans une case ?

Marie-Flore : Je ne déteste pas ça, après je ne suis pas d'accord avec le terme « folk » pour définir ce que je fais. Mais, il faut bien que les gens, les journalistes se situent.

Shebam : On doit constamment te demander quelles sont tes influences. Quel groupe ou chanteur ne t’a jamais influencé ?

Marie-Flore : Tous ceux que je n'ai jamais écoutés !

Shebam : Comment envisages-tu aujourd’hui le potentiel d’Internet : Bandcamp, Facebook, Twitter et… Myspace pour les nostalgiques ?

Marie-Flore : Je trouve ça bien. Je crois être un peu nostalgique de myspace, mais certainement parce que ça correspond à mes premières expériences fortes dans la musique et que myspace, quelque part m’a aidé à  former une équipe etc.

Shebam : À quand l’album ? Rêves-tu de produire le premier album parfait (qui devient parfois le meilleur) à l’image du Velvet, Pink Floyd, Big Star, King Crimson, Nick Drake ou des Zombies ? Peux-tu nous donner un indice ?

Marie-Flore : L'album c'est pour 2014 ! Et puis si je devais en sortir un « parfait » il ne sortirait jamais. On peut toujours faire mieux. Mais pas mieux que Nick Drake (rires).

Shebam : Est-ce que tu fais tout, toute seule ou aimes-tu être entourée (musiciens, producteur) ? 

Marie-Flore : Pour l'écriture et la composition, je suis seule. Et pour les arrangements et la réalisation, je travaille en collaboration avec Robin Leduc sur cet album !

Shebam : Pour paraphraser Clint Eastwood dans Le bon, la brute et le truand, le monde des songwriters est divisé en deux catégories : ceux qui composent à la guitare et ceux qui composent au piano (sans même parler de ceux qui l’écrivent sur partition). À quel monde appartiens-tu ?

Marie-Flore : Aux deux ! Avec la guitare en dominante, mais de plus en plus au piano.

Shebam : Quelle île déserte emporterais-tu dans un disque ?

Marie-Flore : Ta question est à l'envers non ?

Shebam : Oui. C'est volontaire. Existe-t-il un lieu - une île ou autre - qui t'a marquée lors de l'écriture de tes chansons ?

Marie-Flore: Une presqu'île… San Francisco ! Londres aussi, ses trottoirs et les mois passés là-bas !

Shebam : On inverse les rôles. Pose-moi une question.

Marie-Flore : Quel duo d'artistes n'ayant jamais performé ensemble rêverais-tu de voir réunis sur scène ?

Shebam : Difficile de répondre pour plusieurs raisons. D’abord parce que certains rockeurs sont morts. Toute velléité de duo relève donc de l’impossible et pourtant… Qui n’a jamais rêvé de voir l’anglais Nick Drake rencontrer l’américain David Ackles ??? Si je dois m’en tenir aux vivants, disons que je rêverais d’un duo Robert Wyatt-Syd Matters. Wyatt est sans doute de tous les artistes pop mon plus grand héros. Syd Matters est l’un des premiers groupes indie que j’ai suivi, celui qui m’a permis de relier les 60s/70s aux années 2000. Et puis, l’un a sans le savoir influencé l’autre qui d’ailleurs ne l’a pas su tout de suite (rires). J’aurais bien aimé aussi assister à un duel des songwriters, un truc improbable du genre Randy Newman meets Ray Davies. Ou alors, plus dingue encore, la rencontre des titans, la fusion « live » entre deux mastodontes rock, King Crimson & Genesis. On appellerait la tournée Geneson (rires). En fait je ne sais pas trop, je suis assez étranger à cette idée qui me renvoie plus à Taratata – de sinistre mémoire - qu’aux vrais duos mythiques tels Simon & Garfunkel, Sonny & Cher, Sam & Dave, Nancy & Lee, Chad & Jeremy, Ike & Tina, The Righteous Brothers, Twice As Much et j’en oublie forcément. Je dirais Wyatt & Matters. En plus, ça sonne plutôt cool, non ?

Ai-je bien répondu, Marie-Flore ? Mais voilà qu’arrive la fin. The end aurait chanté un autre grand du Classic Rock. Mais je dois l’avouer, cette dernière question m’a déstabilisée. D’habitude, ce genre de questions, aux mains des artistes, pourrait se transformer en plaidoyer promotionnel. Les artistes ne pensent pas toujours à explorer un registre plus personnel, voire proposer de véritables angles. Sans doute sont-ils ailleurs ou parfois pris de court par les conventions du Système qui aime poser inlassablement les mêmes questions creuses, en boucle. Marie-Flore échappe à cette logique du fait de la pureté de sa démarche, l’honnêteté de son art. Sa filiation indie y est pour beaucoup. Aujourd’hui, à l’heure des mass-médias, du web décomplexé et des majors à l’agonie, cela compte. Plus que tout.

Marie-Flore, Feathered With Daggers EP (Autoproduction)

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Photos Renaud Cambuzat ©

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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