La chose semble relever de l’exploit. Ou bien du rêve éveillé. Ou encore de la gageure. Trouver un artiste et un album – les deux réunis – bien mieux que le trop hirsute et baba bavard Devendra Banhart. Ce n’est pas vraiment un petit nouveau. Celui-ci fait la joie de la nouvelle scène californienne depuis quelques prolifiques années. Ty Segall. C’est son nom. Ce rockeur au visage poupon n’a pas son pareil pour s’énerver sur des guitares fuzz – le nom de son nouveau projet discographique – et brouillonner des hymnes garage bouillonnant. Seul ou accompagné, le jeune homme a déjà gravé treize albums dont Sleeper, sorti cet été, est le dernier. Et peut-être le plus apaisé. Malgré les incursions de la fée électricité. Sans revenir sur sa bio, on peut dire que ce nouvel opus a été composé après la mort du père et le divorce symbolique d’avec sa mère, comme si les bouleversements post-modernes de la Famille n’avaient pas épargné l’énergique rouquin. Premier constat, Ty Segall décide pour lâcher ce qu’il a sur le cœur de contenir ses émotions. Il choisit donc un registre intimiste, délicat, mélancolique mais pas trop comme le Blues From Laurel Canyon de Mayall. Les chansons semblent engourdies, saisies dans l’éther de ses pensées tristes, parfois aussi légères que la conscience au sortir du confessionnal. L’instrumentation suit cette voie. L’acoustique y est reine. Production presque vétuste, pilotée de sa maison mais qui réussit le tour de force de ne jamais sonner lo-fi, sale, brute. On trouve dans ces dix chansons une certaine élégance, un swing hippie, une élasticité de chaque instant comme sur Come Outside qui ouvre la deuxième face. On a beaucoup comparé ces morceaux studieusement écrits aux œuvres de Marc ‘T Rex’ Bolan. Il est vrai que le prince du glam avait, pour entrer dans l’éternité, contracté les prénom et nom de l’idole Bob Dylan. Nom valise attestant de son bagage blues-folk. Chez Ty Segall, la dimension folk n’est pas tant anglaise, celte, que californienne. On songe parfois à Fred Neil – les blues -, tantôt à Rocky Erickson pour la douce folie qui couve sous ces chevelures rougeoyantes, en forme de feu-follet. La voix de Segall, certes plus cinglante que celles des pairs cités, reste moins nasillarde et chevrotante que celle de Bolan, plus vaporeuse, nimbée de rêveries donnant ainsi tout son sens au titre du disque. Son auteur n’est pas tant ce beatnik paresseux que l’on croit mais un homme qui a trouvé dans le sommeil et l’évasion irréelle les remèdes à ses propres tourments. Pour langoureuses qu’elles soient, les chansons n’ont pas oublié la structure, la logique qui préside à leur imminente postérité. Sleeper contient quelques « classiques » - j’y accole des guillemets car Segall n’est pas homme à chercher la célébrité ou même la reconnaissance – qui ont pour nom Sleeper, The Keepers, She Don’t Care ou encore The Man Man. Des titres réellement pénétrants. Confondants de sincérité. On sort de cette trop courte expérience, transi, bouleversé, l’âme chamboulée par le canevas de ces sentiments confus, furibonds, ombrageux. Et pourtant. Comme un lendemain de pluie, il existe toujours une lueur d’espoir, une porte de sortie aux peines qui cloisonnent trop souvent les corps. Cette échappée belle s’appelle The West. Titre final d’une sublime simplicité. D’une luminosité sans tâche, pure, prismatique. Remercions la générosité d’une Œuvre qui a la profondeur de l’âme et la bonté du cœur.
Ty Segall, Sleeper (Drag City-Modular)
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