Il faut toujours croire aux miracles. D’autant qu’ils ne sont pas tous d’ordre biblique ou géographique ; oubliez les grandes catharsis de Lourdes. Celui dont il est question ici s’avère musical. Il tient à cette rencontre improbable que le patron de Sub Pop, Bruce Pavitt – signataire de Nirvana –, avait alors théorisé à propos du grunge : la sincérité du punk, les riffs de Black Sabbath et les lignes mélodiques des Beatles. En 1992, arrive dans les bacs Dead Four, l’unique Lp des Hinnies. Passé inaperçu à l’époque, l’album tient du véritable miracle. Il incarne l’idée même esquissée par Pavitt, cet équilibre ténu entre la violence des guitares, de rigueur en ce début de décennie 90, et l’immédiateté de la pop. Cette alchimie se retrouve tout au long de l’album et lui assure une vraie cohérence. Les douze titres de l’édition vinyle – le CD en compte 14 ! – sont d’égale qualité même si certains se piquent d’explorer d’autres territoires comme le très hippie Shell State Blues. Dead Four démarre sur les chapeaux de roues avec le diptyque I Can Find You – fier et rageur – et le langoureux 16 Song. Sans rien relâcher, l’ardeur au ventre, le groupe enchaîne avec le single de l’album, Doodle. Nanti d’un flûtiau facétieux, Doodle charme l’auditeur par la magie juvénile qu’il distille. Derrière le mur de son abrasif du couplet se cache l’un de ces refrains dont les Hinnies détiennent le secret. Modèle du genre, le morceau se finit sur un tapis d’échos et d’électricité saturée. Il s’agit d’une franche réussite. Sans doute galvanisés par les séances d’enregistrement, nos londoniens ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Après Shell State Blues, ils lâchent une autre bombe, Beam Town, au refrain canaille et à la violence à peine contenue – l’entame à la batterie. Les Hinnies hennissent, battent le fer du rock alors qu’il est encore chaud. Malgré ses textures soniques, Weary Head clot la première face sur une note plus Paisley. Le temps de retourner la galette, et la formule des Hinnies reprend du service avec le deuxième single, Capri Woman, au refrain parfait et à la transition bizarre. Capri Woman aurait largement méritée une audience plus large, il s’agit en tout cas de la chanson type que l’on entonne en chœur dans les festivals boueux en levant les bras et en battant les cheveux, de préférence longs. Way Cool déboule. Pas de temps mort, l’auditeur n’est pas là pour plaisanter, couplets et refrains s’accouplent avec une redoutable efficacité. L’écriture en paraîtrait sommaire et pourtant. Deux minutes et vingt neuf secondes plus tard, la composition s’est imposée à tous. Lay Down constitue la deuxième pause de l’album, plus électrique mais atonale en diable. Évitons les circonvolutions poussives, les analyses fumeuses : Ride The Waves représente le climax de cette face B. Une sorte de gageure. De la Surf Music glissant comme une planche fartée dans les habits débraillés du punk. Sur une trame assez rudimentaire – un couplet court et un refrain incantatoire – la chanson se déploie de façon panoramique. Comme ça, sans coup férir, en presque six minutes, pour finir dans les éclats brisés des vagues immatérielles et des guitares, elles, bien réelles. Sleeping Song est de tous les titres le plus ralenti, extatique, psychédélique. Ô exploit, sans rien voler aux décennies précédentes – forcément légendaires donc indépassables – mais en conservant l’esprit « nineties ». Incroyable constat d’un groupe multipliant les registres sans rien perdre de son identité. Le Lp, dans sa version vinyle, s’achève tel un coup de grâce avec les sept minutes de The Same. Mélodique au possible, la chanson migre progressivement vers le Shoegaze puis s’ébroue dans les derniers instants en berceuse limpide. Sur la version CD, on trouve deux bonus tracks, le dispensable Gong et le mirifique Jesus In The Driving Rain rappelant les grandes heures des Kinks, voire des Vaselines avec le très gémellaire Jesus Wants Me For A Sunbeam. Références qui permettent de boucler la boucle. Si les Hinnies ont réussi à instaurer cet équilibre entre punk attitude et pop culture c’est bien parce qu’ils sont anglais de chair et de sang. Ils s’affirment comme les dignes héritiers d’une longue filiation de songwriters émérites que le monde entier envie, à commencer par l’orgueilleuse AMERIK. En joyeux équilibristes, ils tirent le fil de l’histoire. Et quelle Histoire !
The Hinnies, Dead Four (Bad Girls)
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