C’est la déclaration de Liam Gallagher qui a mis le feu aux poudres. Lassé par le phénomène Random Access Memory, du nom du dernier album de Daft Punk, l’imprudent déclarait dans la presse être capable d’écrire Get Lucky en quelques secondes. Les réseaux sociaux ripostent avec véhémence. Chacun y va de son post pour recadrer l’impétueux ex leader de Oasis. Satisfait de son petit effet, la rock star récidive en affirmant, non sans culot, pouvoir écrire l’album entier en une semaine. Quand on sait que les Daft Punk travaillent à leur projet depuis des années, on s’étrangle. Y a t-il pas dans ces propos à l’emporte-pièce une part de vérité ou s’agit-il d’un crime de lèse-majesté ? Question somme toute légitime d’autant que la personnalité de Gallagher – hâbleuse et excessive – ainsi que son difficile retour sur la scène musicale prêtent le flanc aux réactions haineuses. Pour trouver la réponse, il faut dépasser la question même. Car la meilleure façon d’aborder cet album touffu, généreux, bien produit, reste encore de l’entrevoir par le prisme de ses fans les plus absolus. Depuis Homework et, dans une moindre mesure, Discovery, Daft Punk est devenu un mythe vivant. À juste titre ou non, qu’on adhère ou que l’on boude cette musique synthétique et volontiers putassière – osons le terme « bling bling » qui fera grincer les dents – la chose relève de la froide réalité. Personne n’a pu échapper à la déferlante Daft Punk. Par leur sens du coup et leur génie marketing, nos petits princes de l’Entertainment ont ainsi réussi à s’imposer par-delà les frontières de la France. Daft Punk s’est dès lors naturellement transformé en mythe universel. Le rêve absolu de tout groupe, à fortiori français. Dans ce contexte d’enthousiasme extatique et de catharsis digitale, le duo revient après cinq ans de silence – et de travail – avec ce que la presse surnomme déjà RAM – on ne sait si Macca doit en sourire ou pleurer. RAM le bien nommé est ainsi le symptôme d’un mal plus profond qu’il n’y paraît, à savoir la mansuétude, pire l’aveuglement de ses thuriféraires les plus jusqu’au-boutistes. Contrairement à d’autres œuvres contemporaines, pop en l’occurrence, RAM arrive à se soustraire à la critique quand, bien avant l’écoute professionnelle, les chroniques sont déjà prêtes, écrites, publiées. On kiffe par avance parce qu’il s’agit de Daft Punk. Parce que Daft Punk est cool, voire la coolitude incarnée. Parce que Daft Punk est DIEU. Et l’on ne remet pas en question Dieu impunément, comme ça sur un coup de tête. Sans craindre l’ire des fidèles qui attendent au coin de la rue avec leurs ceintures d’explosifs, véritables bombes humaines du Net prêts à se sacrifier pour leur Idole, le veau d’or qu’ils révèrent et croient comprendre (?). Dans le langage de la culture geek, on les surnomme fans hardcores. Ils sont partout. Musique, littérature – surtout la SF –, cinéma, jeux de rôles. On les savait passionnés, enflammés, pas toujours objectifs, mais on ne leur connaissait pas cette intransigeance qui prive trop souvent le débat d’échanges libres, nourris, d’arguments contradictoires. « RAM représente l’un de ces trésors à la fois indépassables et intouchables. » Fermez le ban. Comment ne pas vouloir réagir à tant de présomption, d’inconscience juvénile. Il ne s’agit pas non plus de jeter l’œuvre dans les poubelles de la bienséance rock. Non, bien sûr. La prudence, teintée d’un certain respect, n’interdit en aucune manière une autopsie honnête et consciencieuse. Car que dit RAM de ses propres géniteurs ? D’abord que le besoin de revenir dans les vrais studios où s’écrivent les pages de la pop depuis plus de quarante ans était nécessaire, voire viscéral. Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo n’auraient pu s’en écarter plus longtemps. Que la pop – et ses nombreux avatars – par son impact demeure le langage idéal pour toucher les foules de par le monde et entrer plus avant dans la Légende. Que la pop est une aventure collective, une entreprise de groupe s’enrichissant au gré des rencontres même s’il elle peut coexister de manière individuelle. À ces affirmations, la (nouvelle) musique de Daft Punk répond du tac au tic. Et pourtant, il est permis d’émettre quelques réserves. Elles sont au nombre de trois. 1/Malgré la sincérité du projet, on peine à trouver de réelles chansons, hormis peut-être Get Lucky et Fragments Of Time qui le sont au moins dans la forme. 2/Ironie du sort, le groupe a beau jouer en studio avec de vrais musiciens sur de vrais instruments, la musique produite sonne curieusement désincarnée. Chaude dans sa production mais si froide dans sa conception. Une sorte de pop Getty enregistrée au kilomètre. 3/Et cette dernière interrogation de rejoindre les deux autres : hormis l’écriture – relativement convenue –, où sont les Daft Punk ? De quels instruments jouent-ils, s’ils jouent vraiment ? Sont-ils des Phil Spector des temps modernes ou des solistes à part entière ? Daft Punk, producteur mégalo ou musicien total ? Se sont-ils trouvés dépassés par le principe de collaboration, ces featuring haut de gamme qui les éloignement un peu plus de leur identité ? Constat cruel et sans appel à l’écoute de chansons qui semblent dès lors appartenir à leurs invités de marque. Seul le Vocodeur, gimmick péniblement systématique, nous indique où se situe encore Daft Punk en 2013. RAM sera-t-il l’album qu’on aime détester ou qu’on déteste aimer ? Sans doute un peu des deux. Un jouet facile, un brin clinquant, qui amusera un temps la galerie, fera s’esbaudir les belles âmes, soupirer les rockeurs invétérés. Un disque d’union – la transe rassemblée – entre les ultras, amateurs d’électro, et la masse attirée par les ostentatoires déhanchés disco. Un disque de consensus, de synthèse. Comme si en ces temps de crise nous avions vraiment besoin de cela…
Daft Punk, Random Access Memories (Columbia)
http://www.deezer.com/fr/album/6575789
Commentaires
nnaY
04.06.2013
Ce qu\'on peut quand même saluer cette fois ci, c\'est qu\'ils n\'ont spolié les refrains populaires qui ont fait Discovery.
Ils ont fait faire leur base de travail dans les règle, c\'est plutot pas mal.
On attend pour fin juin Daft Punk remixé par Daft Punk, la boucle sera bouclée, avec un peu plus de personnalité j\'espère.