Premier galop d’essai pour chevauchée fantastique.
Le saviez-vous ? Mais Stagecoach n’est autre que le titre anglais du célèbre film de John Huston, La chevauchée fantastique. Échappés d’une époque rêvée – d’aucuns diront un âge d’or – ces longs métrages avaient le don de proposer à l’œil neuf du spectateur action et émotion en cinémascope. De fusionner pour le meilleur, jamais le pire, intrigue haletante et noblesse des sentiments. Qu’on les apprécie dans le confort d’un salon feutré, à la télé, ou dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Ce n’est peut-être pas pour cette raison – quoique, car elle semble si évidente – que Stagecoach, le groupe, a choisi en guise de patronyme cette illustre référence. Leur premier effort, Say Hi To The Band, condense tout ce que le pop raconte depuis maintenant quatre décennies avec comme ultime mise à jour tous les attributs de la modernité. Stagecoach a imaginé avec cet album un petit monde peuplé de personnages et de chansons qui déroulent tout le spectre des émotions humaines. On y trouve des hymnes échevelés, intenses comme Work ! Work ! Work ! et le fort bien nommé Action, véritable bombe rock de deux minutes et vingt et une secondes mais aussi le vibrionnant Theequel comme l’incisif Nothing Leads You Astray. Certains titres jouent l’ambiguïté, l’atonalité, 56K Dial Up et King Resolve en tête, prouvant que le groupe peut convaincre dans un registre plus sérieux. Au milieu de ces chansons cinglantes, existent d’autres compositions régies par cet art de l’intime qui permet de distinguer Stagecoach de la masse de la production anglaise contemporaine. Stagecoach n’est pas seulement cette étonnante machine à tubes, une alchimie pop séduisante et singulière, mais un groupe capable de montrer une autre facette, ce qu’on l’on appelle aussi « registres ». Ils en ont quelques-uns en stock. Des ballades tendres prouvant que sous le cuir le plus dur bat toujours le cœur d’un artiste. Ce cœur-là a ses réseaux que la raison ignore, ses pensées profondes. Avec son intro de batterie aux balais, son hammond roucoulant et sa trompette éclair, New Hand est une ballade romantique comme on n’en fait plus. First and Last marque les esprits par sa progression et l’intensité qu’elle laisse exploser en final pour retrouver dans les dernières notes des intonations délicates, proches du silence. C’est l’un des climax de l’album. Le deuxième, hormis l’émouvant I’m Not Your House, demeure à n’en point douter VideoShop, débuté à la mandoline. L’histoire d’un homme viré du magasin de vidéo où il travaille – au demeurant un peu par hasard – et qui malgré sa triste incompréhension décide de saisir l’occasion d’un nouveau départ. Sortir du formol de la fiction, à travers les personnages imaginaires qu’il côtoyait, pour se frotter aux affres de la réalité. Un sens du naturalisme qui sied parfaitement bien à la plume aiguisée de Luke Barham. L’équilibre parfait de l’album réside au fond entre la fulgurance de Action et l’hyper sensibilité de Videoshop. Pour conclure, on dira que Stagecoach a la jeunesse du corps qui vit, danse et s’étreint, et toute la profondeur adulte de l’âme. Bref pour paraphraser Victor Hugo, « La musique de Stagecoach, c’est du bruit qui pense ».
Et pour ouvrir, on s’empresse d’interroger le brillant leader et songwriter de Stagecoach pour sonder ses moindres pensées. Est-il cet ado turbulent ou bien cet être introspectif, deux figures définissant le double visage de Say I To The Band ? Pour le savoir, commençons par dire Hi To Luke.
Shebam : L’Angleterre c’était Thatcher hier, aujourd’hui la pluie, la city… Et vous déboulez avec une power pop fondamentalement californienne. N’y a-t-il pas un décalage ?
Stagecoach : Je crois que si tu vis dans un pays aussi gris que l'Angleterre, c'est pas mal de pouvoir rêver en plein jour et s'échapper, même pour quelques secondes. On adore la musique qui vient de Californie et de toute la Côte Ouest et j'imagine que si notre musique y ressemble c'est parce que nous nous permettons de rêver en plein jour et de nous déconnecter du réel via notre musique. J'ai eu la chance d'aller à LA l'an dernier et c'était tel que j'avais imaginé. J'ai écrit beaucoup de chansons en très peu de temps, sur lesquelles nous sommes en train de travailler en ce moment. J'ai trouvé cette ville "férocement inspirante".
Shebam : Il s’en est passé du temps depuis vos débuts jusqu’à la sortie prochaine de l’album. Vous me résumez toute l’histoire, le pitch ?
Stagecoach : Hé bien Stagecoach a commencé il y a 10 ans maintenant. On était 2 au départ, on faisait de la country et puis on a ajouté d'autres membres et au final on s'est retrouvé avec un groupe de rock. On a sorti 2-3 EPs et singles sur de petits labels anglais qui ont été bien accueillis. Nos chansons sont passées à la radio, on a eu de la presse et puis on est arrivé à un point où on avait plus rien à leur donner. On arrêtait pas de faire des concerts, de tourner et d'un coup on a pris conscience : "Merde, on n’a pas d'album de prêt ! Tout cela va vite s'arrêter si on n’a pas d'autres chansons !" Du coup on a pris un an pour nous, pour écrire et être sûr que tout était bien prêt pour pouvoir revenir avec l'album dont nous rêvions.
Shebam : Un fan de la première heure a récemment qualifié votre musique de pure jouissance adolescente. Seriez-vous les Larry Clark du rock anglais ?
Stagecoach : Ha ha ! Disons que je pense pas que notre musique est aussi pointue qu'un film comme Kids mais c'est super de se dire qu'on peut inspirer et enthousiasmer les gens avec ce qu'on fait. Il y a évidemment une énergie qui vient du fait qu'on tient énormément à ces chansons. À ton avis, combien de groupes peuvent tenir pendant 10 ans en mode Do It Yourself ? Si on est encore là, c'est parce qu'on est passionnés. Et on espère que ça transparait dans l'album.
Shebam : Alors que l’urgence semble être le maître mot de cet opus, vous cultivez parfois des ambiances intimistes, sobres, presque faites de gravité. Vous êtes en fait de vrais romantiques, c’est ça ?
Stagecoach : Oui et quand tu effectues un travail plus long comme sur un album, tu as vraiment la possibilité d'explorer ce genre de moments plus intimes. Quand on sortait single sur single, on était très conscient qu'on faisait quelque chose qui devait frapper l'auditeur instantanément dans la tête ou l'attraper par le cou ! Avec un album, tu as plus le temps de respirer et tu peux prendre le temps d'expliquer ton message. La difficulté réside dans le fait de trouver le bon équilibre avec les chansons que tu choisis d'inclure.
Shebam : Au fond, n’est-ce pas la marque des grands disques (la diversité des climats) ?
Stagecoach : Clairement. Tu veux peindre tout un tableau et emmener l'auditeur dans un voyage. Tous nos albums préférés sont faits comme ça. Ceux qui tombent à plat sont ceux qui appliquent la même recette à chaque titre. On a fait bien attention à avoir la bonne variété d'atmosphères, je crois qu'on y est arrivé. On a trop hâte de voir ce que les gens en pensent !
Shebam : L’un de vos titres s’appelle We Got Tasers. Vous voulez passer la production anglaise, les charts et les programmateurs radios au kärcher ? Plus sérieusement, l’horizon semble-t-il se dégager pour vous ?
Stagecoach : Je m'imagine pas un raz-de-marée de Stagecoach, là, prochainement. En Angleterre, les groupes à guitare ont du mal en ce moment à être entendus, mais bon c'est une question de cycles. Je suis sûr que dans un an, la musique à guitare, ce sera le truc dont tout le monde parle. On a une grosse tournée qui commence la semaine de la sortie de l'album et puis pas mal de festivals en Angleterre. Après, je pense qu'on va écrire des nouvelles chansons, on en a déjà quelques-uns, on les appelle les chansons "2.0". C'est du Stagecoach qui pousse la barre un peu plus haut. On vient juste de découvrir le monde des synthés et on commence à explorer ça, c'est très prometteur.
Shebam : À écouter de singles comme Work Work Work et surtout Action, on retrouve l’insouciance claquante des Who période My Generation. Caressez-vous le rêve d’être les Who des années 2013 ?
Stagecoach : C'est agréable d'être comparés à eux mais je crois que personne dans le groupe n'est fan des Who. J'imagine que le groupe anglais que nous adorons tous, c'est Blur. On a tous grandi dans les nineties, c'était un groupe super important quand on a appris à jouer de nos instruments et à aller à nos premiers concerts. Ils ont d'ailleurs pas mal de bons points communs avec les Who, alors c'est peut-être ça que tu entends ? Mon père est juste le plus grand fan des Who, alors peut-être que c'est dans mes gênes.
Shebam : Malgré les quelques références sous-jacentes, la dimension « campus pop », vous avez su échapper au piège du revivalisme. Alors, heureux ?
Stagecoach : Marrant ! C'est vrai que notre musique a un côté "college rock nineties", mais uniquement parce qu'on a grandi à cette période. Quand j'avais 12-13 ans, j'adorais écouter les Lemonheads et Dinosaur Junior, clairement ils ont eu un impact sur mon écriture. Aujourd'hui le son des nineties a été complètement balayé et c'est pas du tout un mouvement auquel on veut être rattaché. On veut pas avoir l'air de sauter sur la mode actuelle. Ca fait 10 ans qu'on fait ce qu'on fait et on s'est jamais incliné, on a jamais cherché à s'associer à une scène. On écrit des chansons de la seule façon qu'on sache faire.
Shebam : John Lennon affirmait « Le rock français c’est comme le vin anglais. » Mais apparemment, vous entretenez une relation particulière avec Paris et la pop française en général. Pourriez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?
Stagecoach : Hé bien je suis allé à Paris y'a 5-6 ans avec un pote et on a atterri dans un bar qui s'appelait The Shebeen. On s'est mis à discuter avec Earle, le patron, et il m'a proposé de jouer dans son bar le lundi suivant. Dans ce bar, tout le monde avait l'air d'être musicien et du coup on a sympathisé rapidement avec plein de gens. Après ça, chaque été, on se faisait un petit voyage à Paris pour faire des concerts. À un moment, on s'est même dit que notre fan-base grossissait plus vite à Paris qu'en Angleterre ! On a aussi rencontré nos héros, les Phoenix, à cette époque, et pendant un petit moment on a été potes. Je me rappelle avoir chanté des chansons de Phoenix avec Branco, il tenait la guitare. On est aussi très potes avec le chanteur Charles-Baptiste et on s'est donné pour mission de le rendre populaire en Angleterre. Paris est un endroit très spécial pour nous, ça fait un petit moment qu'on y est pas allé et ça nous manque vraiment de plus jouer là-bas. Souvent on se dit que c'était la plus belle période de Stagecoach à de nombreux égards. Il y avait un parfum de magie, où tu te disais que tout pouvait arriver. Un soir en train de jouer avec les Wombats, un autre soir en train de parler des prods des Neptunes avec les Phoenix … Quand t'y penses, c'était n'importe quoi ! Parfois je me demande si c'était pas juste un rêve.
Shebam : Quelle île déserte emporteriez-vous dans un album ?
Stagecoach : Pour moi, ce serait l'album "It's a Shame About Ray" des Lemonheads. Si je devais choisir pour tout le groupe, ce serait Wolfgang Amadeus Phoenix, des Phoenix. On pense tous que c'est un chef-d'œuvre moderne, et ça a clairement été la bande-son de toutes nos fêtes depuis que c'est sorti. J'ai l'impression qu'on s'en lassera jamais.
Shebam : On inverse les rôles. Posez-moi une question.
Stagecoach : On adore la musique française, de Serge Gainsbourg à Sébastien Tellier en passant par Jean Michel Jarre, mais c'est bizarre, c'est comme si en France, personne ne parlait des artistes français avec fierté. Quel groupe ou artiste français admires-tu le plus et pourquoi ?
Shebam : Question extrêmement délicate d’autant que la France a suivi parallèlement à l’Angleterre un parcours musical et pop relativement différent. Je ne vous ferai pas l’insulte de citer Gainsbourg, vous l’avez fait avant moi. Mon choix se portera donc, rupture oblige, sur… Magma. Et pour plusieurs raisons. C’est un groupe que j’adore et que j’ai découvert il y a plusieurs années, à l’époque de mon initiation musicale post adolescente. C’est Magma qui m’a déniaisé, si je puis dire. Deuxième argument, Magma s’est rapidement imposé dans les seventies comme un groupe à la fois original et radical dans une scène progressive qui en comptait d’autres. C’est un groupe français complétement à part dans la production nationale avec une langue inventée, le kobaïen, qui rend son propos à la fois puissant et universel. Enfin et c’est peut-être son unique point commun avec le grand Serge : Magma s’est exporté en dehors des frontières de l’hexagone avec un style repris par de nombreuses formations européennes, voire parfois américaines !
C’est sur cette réponse légèrement décalée que s’achève cette interview, montrant que l’on peut concilier la pop la plus immédiate au rock le plus avant-gardiste. Mais revenons à Stagecoach et son actualité. Et une pensée quasi philosophie me vient à l’esprit. L’Angleterre est ainsi faite qu’elle se cherche chaque année un nouveau groupe à aduler. Parfois la hype perfide, le buzz sournois dégonflent et les folles promesses rock s’évanouissent alors pour notre plus grande déception ; Et si Stagecoach faisait mentir cette implacable réalité ? Et si la bande de Luke Barham était LA vraie formation à suivre, écouter, soutenir ? Bref, notre seul espoir ?
En France, "Say Hi To The Band" est distribué par Hip! Hip! Hip! : http://hiphiphip-label.com/
http://www.youtube.com/watch?v=vyyxZXtREJI
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