Il faut bien l’avouer, je n’ai jamais aimé les Strokes. À qui la faute, à ces journalistes-influenceurs avides de formules chocs sur le retour du rock à guitare dont je n’avais pas vraiment constaté l’acte de décès. Et puis vint l’examen en surface de la production du quintet new-yorkais. Le son paraissait étriqué, énergique certes, mais aussi sec qu’un gin tonic de fin de soirée. Il y eut ensuite la récupération publicitaire, odieuse et fourbe. Où était la dimension indé ? Comment accepter d’associer un Acte Créateur à une marque, une société cotée en bourse ? Et je suis passé à autre chose. Le nouveau siècle, s’il avait commencé par quelques riffs des Strokes, ce nouveau siècle-là allait trouver d’autres voix. Comment ne pas songer à Arcade Fire qui réussit son passage du mouvement indie au Classic Rock le plus abouti. Douze année se sont ainsi écoulées, la vie a fait son chemin, la maturité aussi, les vinyles et autres mp3 se sont entassés, parfois quelques-uns d’entre eux connurent l’honneur d’une chronique, ô combien modeste, mais toujours honnête, passionnée. Mars 2013, à la faveur d’un mail amical, un lien arrive à mes oreilles, celui du dernier opus des Strokes. On les disait finis, morts, il faut bien dire qu’une séparation suivie d’une reformation et d’un album, Angles, assez médiocre, n’avait pas convaincu ma plume de reprendre du service. Plusieurs écoutes plus tard, l’impression n’est plus la même. Point de retournement de veste à l’horizon, plutôt une satisfaction pour paraphraser le grand Mick. Avec Comedown Machine, les Strokes ont livré le grand disque Classic Rock que l’on n’attendait plus. Pas quelques tubes pour minets en converse. Non, un album, un vrai, avec des guitares, des vraies, amples, massives, avec une épaisseur, non un trait de coke musical. Comedown Machine. La Machine Strokes est de retour, ils sont redescendus dans l’arène avec un son, une ambition, aspirer à l’éternité, occuper l’espace et la décennie. Pour tout dire, les Strokes sont enfin devenus un vrai groupe débarrassé de la hype qui leur collait à la peau. Plusieurs éléments en témoignent. D’abord les guitares. L’essence même du rock. Son ingrédient principal. De grosses guitares, vrombissantes comme des V8, valent toujours mieux que des guitares anorexiques. Celles-ci ont fait un hold-up, les voilà débarquant et flinguant tout sur leur passage. Du stoogien 50/50, rappelant Month of May de l’arcade enflammée, à Chances tout en riffs salutaires, l’auditeur est envahi par une puissante chaleur, un brasier s’allumant alors dans chacune de ses prunelles. Il y aussi les partis-pris. Ils sont ici nombreux. Aux dires des fans, ces « orientations » étaient déjà présentes sur les précédentes livraisons, il ne s’agit pas d’en douter mais de souligner qu’ici l’’audace n’interdit pas la cohérence. Plusieurs morceaux méritent ainsi une citation. Tap Out que beaucoup ont hâtivement raillé donne l’impression d’avoir été produit par le grand Quincy Jones et n’est pas sans rappeler Under The Gun des parfaits Electric Guest. Mais venons en à l’objet de toutes les critiques, One Way Trigger. Certes, les synthés cheap sont à l’honneur mais pourquoi diantre ce qui sonnerait chic chez les autres semblerait shit chez les Strokes ? D’autant que juste derrière, se niche un refrain en deux temps qui permet à la voix de Casablancas de s’épancher majestueusement. Le résultat est tout bonnement sublime, à vous filer la chair de poule. C’est avec 80’s Comedown Machine qu’à l’instar de Bérégovoy nous atteignons le nirvana. On n’avait pas connu chez les Strokes pareille inspiration, pareil dépouillement, pareil équilibre. Il s’agit à n’en point douter du chef-d’œuvre de l’album. Le son baigne dans une mer scintillante comme celle que l’on voit s’argenter au contact du soleil, à quelques encablures de la Sicile ou de je ne sais quelle île grecque. Travail se rapprochant d’une certaine manière des œuvres utérines de Robert Wyatt. Partners In Crime prolonge cette veine synthétique et contemplative sans jamais dépareiller la formule consacrée des Strokes, rock et urbaine en diable. Dernier tangible, l’écriture. Oui les Strokes ont ce don énervant pour le songwriting efficace, tous les morceaux déjà cités en constituent la plus évidente des preuves. Même conclusion pour les autres, qu’il s’agisse du velvetien All The Time, de l’efficace Welcome To Japan, de Slow Animals, gracieux mais tubesque, ou du fort bien nommé Happy Ending, final euphorique au pont touchant. Call It Fate Call It Karma clôt véritablement le disque et pourtant, son raffinement presque suranné s’apparente plus à ces morceaux cachés que les musiciens aiment glisser comme une ultime sucrerie pour leurs fans hardcore. La pochette quant à elle, d’un rouge sang sur fond de major en typographie élégante – Merde, RCA est tout de même le label de l’Airplane –, constitue une réponse cinglante, une gifle à tous ses détracteurs. Plus important encore, si Comedown Machine convainc c’est parce qu’il se dévoile comme un possible premier album des Strokes. Je dis cela, n’ayant jamais réellement prêté attention à leur courte discographie. Il possède une fraîcheur et une immédiateté très plaisantes, toutes choses qui le placent à mille lieux de ses concurrents potentiels. N’en déplaise aux grincheux, c’est bien à une machine de guerre que nous avons affaire.
The Strokes, Comedown Machine (RCA)
http://www.deezer.com/fr/album/6414905
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