La Russie cultive une réelle tradition pour les visions modernistes et tourmentées, il suffit pour s’en convaincre de relire Le nuage en pantalon de Vladimir Maïakovski, de contempler les toiles hautement symbolistes de Mikhaïl Aleksandrovitch Vroubel ou de prêter une oreille studieuse aux concertos de Rachmaninov. À travers eux, la Russie raconte une histoire autre que le totalitarisme soviétique au rêve communiste trahi, autre que les délires cyniques d’un Poutine sous testostérone. Ce roman-là souffle le chaud et le froid. Il se lit aussi dans ces 17 000 000 km2 de terres sauvages. Ainsi, au cœur du Kamtchatka, presqu’île de l’extrême orient russe, tapissée de neiges éternelles, rugit un volcan rougeoyant, le Tolbachik. Il piaille, hurle et crache ses vomissures de feu. Ce paysage dantesque, à la fois cristallisé dans la banquise et larvé de pourpre, n’a que très peu de choses à envier au deuxième album de Motorama, Calendar. Du reste, c’est l’image qui vient à l’esprit à l’écoute des dix chansons qui constituent la tracklist de leur deuxième opus publié par le label bordelais indé Talitres. Guitares ascendantes, voix basse, comme un hélicoptère rasant le sol pour échapper aux radars. Mélodies solaires, chant sépulcral. Ainsi débute Image, cinglant comme une gifle, évident comme un souvenir de jeunesse. Les chairs ressentent l’attaque avec une joie indicible, un plaisir viscéral. White Light enchaîne et l’impression se confirme, la guitare dessinant des motifs – le mot lui va comme un gant – des motifs donc cristallins, gorgés d’écho alors que la voix glabre raconte des histoires cryptées dixit l’accent – le leader chante en anglais – russe en diable et si beau, si singulier. To The South a quelque chose de kerouacien et sa perfection incisive, souvent tubesque, convainc d’emblée. Rose In A Vase fait mouche par son sentimentalisme livide. Quant à In Your Arms, énigmatique et mathématique, il clot cette première face de la plus belle manière qui soit. Plus difficile d’accès, la face b réserve pourtant des surprises. De taille. Sometimes est la première chanson à tirer son épingle du jeu. Elle reprend la formule quasi catarthique faisant la magie de Calendar, guitare carillonnante sur glacis de claviers, le tout produit avec un maximum d’écho comme pour renvoyer aux paysages limpides et vastes de la pochette. Deuxième joyau et pas des moindres, Two Stones occupe l’espace autant que les minutes et prend son envol vers des cimes jusque-là inconnues. Car il faut le dire, Calendar est autant un disque terrien que céleste. Placé en dernier, During The Years paraît échapper à la logique musicale de l’album, la guitare sonnant différemment comme si elle indiquait à l’auditeur la voie que Motorama souhaiterait emprunter pour la prochaine livraison. Le morceau, tout en tension claire, n’oublie pas d’exercer une trouble fascination, blême et fuyante comme une ligne. Sans forcer la comparaison, afficher trop clairement ses références, la musique de Motorama s’ébroue intensément, pénètre les esprits pour y rester un bon moment, un grand moment même. Elle frappe par son étrangeté, sa dimension presque apatride, à la fois occidentale d’un point de vue strictement pop et pourtant puissamment slave. C’est sans doute l’apparente noirceur pointant sous les arpèges déliés qui autorise cette perception toute personnelle. Ou alors tout simplement le groupe même, son histoire, son parcours, son identité : le mot n’a pas toujours eu bonne presse et c’est malheureux. Celle-ci semble marquée au fer blanc, prégnante et tout à la fois volatile, l’héritage sonore du quintet de Rostov-sur-le-Don ayant été complétement digéré. Il demeure un sentiment joyeusement triste, un été fondu dans l’hiver, le chaud et le froid donc. À la façon des tapisseries verbales de Maïakovski, des fouillis coloriels de Vroubel ou des folies harmoniques de Rachmaninov. Pour résumer, un romantisme russe.
Motorama, Calendar (Talitres)
http://www.deezer.com/fr/album/5954907
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