Et si on se disait nos quatre vérités pop ?
La nuit est tombée et avec elle le froid de l’hiver. Un seul bloc. Glacial. Piquant. Mon auxiliaire photographique – visage perdu dans son casque de flammèches brunes – et moi nous nous retrouvons à deux pas frigorifiés du Point Éphémère. L’édifice constitue une masse lourde, minérale et pourtant fondue dans l’obscurité. Tout juste l’œil perçoit-il quelques contours obliques et tranchants à la faveur d’un réverbère. Deux entrées théoriques s’offrent à nous et nous décidons alors de passer par la rue. Une main transie, recroquevillée, fait résonner la lourde porte de métal dont l’apparence effraie quelque peu. Elle donne l’impression d’ouvrir sur un claque, un gigantesque lieu de débauche pour clubbers affamés de nuit et d’extase. Bingo ? Non. À mesure que nous pénétrons dans un étroit couloir, guidés par une employée du Point, le sentiment d’avoir emprunté la mauvaise voie nous saisit. Cette entrée en scène a des airs de traitement VIP. Du haut de l’escalier que nous descendons triomphalement le bar se déploie en panoramique avec son cortège de parisiens du soir, verre en main, rires aux lèvres, à la fois séduisants et détendus. Un léger brouhaha se mêle aux clameurs doucereuses de la musique, esprit lounge. Une chaleur nous étreint tous les deux. Réjouissance totale, nous sommes dans la place ! Le téléphone vibre, William, mon contact au label, arrive précédant de peu les deux membres du groupe que je m’apprête à questionner sincèrement. Découverte, présentation et alcool offert plus tard, je suis assis à une table sur la terrasse. Alors que je sors le matériel, je songe aux derniers événements sans imaginer la force que pendra cette interview : les remous pop qui traversèrent le corps « France », cette belle endormie, les groupes en pagaille et avec eux des premiers albums le plus souvent prometteurs. Dans la multitude plutôt plaisante, Aline se distingue. Et de loin. Je ne vais pas refaire le match, réexpliquer pourquoi je fus immédiatement charmé par leur album, Regarde le ciel, pas plus que je ne vais révéler maintenant ce qui sera dit, enregistré plus tard et que vous finirez bien par découvrir quelques lignes plus bas. Mais de toutes les interviews que j’ai données – et elles furent dans l’ensemble de beaux et grands moments rock – celle-ci allait combler toutes mes espérances. D’abord par la teneur des échanges. Romain, leader et compositeur du groupe, accompagné d’Arnaud, guitariste en chef, sont des personnes accessibles mais précises, allant sans détour à l’essentiel : leur musique. Ils en parlent avec des mots simples, à l’image de leurs chansons, mais avec passion et intelligence : qualificatifs qui témoignent de la richesse de l’œuvre pour l’instant en construction, mais déjà si cohérente. Ces garçons-là savent ce qu’ils font et où ils veulent aller. Ils ont pour eux la fraicheur qui infuse leur musique et en même temps l’expérience qui dicte à leur conduite une logique évidente. Vous le verrez bientôt, tout est sous contrôle. Oh par là je n’entends pas qu’ils appliquent à l’indie pop des méthodes scientifiques, une froideur dans l’approche. Non, il faut pour incarner des chansons une part de spontanéité, d’imprévu qui est aussi l’apanage du rock. Mais l’esprit de la pop guide leur vision. Pour s’en convaincre, écoutez à nouveau l’album, tenez, Maudit Garçon dont l’écheveau complexe et abouti s’entend des premières secondes jusqu’aux dernières. Une chanson qui sait comment elle doit se terminer, cela semble absurde, anecdotique et pourtant. C’est primordial. Cela dénote un sens aigu, quasi religieux de l’écriture. Une chanson bien sûr se ressent, comme un premier amour, mais aussi se pense comme la première déclaration qui l’accompagne. La chanson. Elle fut au centre de nos causeries, d’abord en embuscade, puis pleinement révélée. Au grand jour si je puis dire, à en juger pour le noir bleuté qui envahit la moindre parcelle d’espace. Romain et Arnaud arrivent. Salutations, présentations. Discussion ? « Clac », gémit doucement Caroline, mon fidèle dictaphone…
Shebam : Aline, Aline ? Vous êtes des fans de Christophe ?!
Arnaud : Ben, oui on aime bien Christophe mais on ne s’appelle pas Aline par rapport à Christophe.
Romain : Oui quand même, fan de Christophe. Je chantais ses morceaux à l’époque de Dondolo. Je ne sais pas si tu sais mais j’avais un projet qui s’appelait Dondolo. J’ai commencé alors à m’intéresser à Christophe. C’était en 2000, il était encore tricard. J’ai fait des morceaux hommage dont un s’appelait Chanteur à succès. Si tu tombes dessus ! On aime mais cela n’a rien à voir avec Aline.
Shebam : Et d’où vient votre nom alors ?
Arnaud : En fait, c’était la ville d’origine des Young Michelin. Il se trouve qu’on a dû changer de nom suite aux embrouilles avec la marque Michelin. On a fait des brainstormings avec des listes entières de noms et Aline était le choix parfait. Comme c’était la ville d’origine de notre ancienne formation, cela créait un trait d’union entre les deux groupes. Le nom sonne bien, très féminin.
Shebam : Depuis les premiers pas avec Young Michelin jusqu’à Je bois et puis je danse, il s’en est passé des choses. Qui s’y colle ?
Romain : Pour résumer, les premiers morceaux ont été faits en 2009. Puis, je les ai mis sur myspace sans ambition particulière. C’était plus pour me retrouver dans la musique, me recadrer sur de nombreux plans. Il y avait en fait un engouement assez fort pour l’Indie pop internationale, américaine, anglaise et ensuite française. Et puis on a trouvé un tourneur, Julie Tippex qui s’est intéressée à nous suite à un gros coup de cœur. Elle a donc décidé de nous faire tourner. Parallèlement, le label Cinq7 nous a repéré au travers de Myspace. J’avais fait une requête à un DA. Il a appelé cette nana en pensant qu’elle était notre tourneuse, ce qui n’était pas encore le cas. Nous n’avions aucune structure, seul demeuraient ces quelques chansons jetées comme ça sur la toile. Après le coup de fil de Cinq7, Julie nous a offert une série de dates. Au fil des concerts, des DA sont venus nous écouter, nous « renifler » pendant un an. Finalement, il se trouve que le contact avec Cinq7 n’a rien donné. Entre temps, nous avons gagné le concours CQFD des Inrocks et nous sommes partis à New York. On a continué à composer sans savoir dans quelle optique nous travaillions. Rien ne s’était réellement concrétisé. Jusqu’à ce que l’on tombe sur Anne Claverie, l’ex manageuse de Daho. Je la contacte en pensant qu’elle était toujours en activité. Elle ne l’était plus mais adorait nos chansons. Elle avait envie de faire quelque chose avec nous, de monter une prod’ rien que pour ça, ce qu’elle a fait. Elle s’est donc lancée dans une coproduction dans le but unique de sortir notre album et aussi parce que personne n’en voulait. Il faut dire ce qui est. Les autres labels aimaient et en même temps bloquaient sur des détails.
Arnaud : Ils ne voulaient pas prendre de risque.
Romain : Ils ne savaient pas à quel degré prendre le projet. Elle a tout de suite monté la prod’. On a enregistré l’album à l’automne 2011 dont Je bois et puis je danse que nous avons décidé de sortir en single parce qu’on ne pouvait pas sortir l’album immédiatement.
Arnaud : Une fois l’album en boîte, on a cherché une licence auprès des majors. Pareil ! Ils n’ont pas voulu se décider : il s nous ont fait chier ! Il fallait que l’on sorte quelque chose pour continuer à exister. On a sorti cet Ep avec Je bois, Hélas et les autres titres que tu connais. Il a reçu un super accueil. Ça se passe mieux depuis l’Ep qui a beaucoup contribué à débloquer les choses.
Romain : C’est Je bois et puis je danse qui nous a permis de rencontrer le grand public. On a élargi notre audience avec ce morceau-là. Beaucoup de gens pensent que c’est un hommage aux années 80. Ce n’était pas fait dans cette optique. Nous voulions une chanson qui détonne dans l’album, nous essayer à un style différent de ce que nous faisions d’habitude. Une sorte de punk blanc un peu bancal mais avec notre son, notre univers, nos couleurs quoi. Ce sont Je bois et Deux Hirondelles, dans un autre style très poppy, très joyeux, qui ont aidé à nous faire avancer.
Shebam : Je bois et puis je danse a des airs de vécu ce qui en fait un titre très actuel, très contemporain.
Romain : C’est indémodable.
Arnaud : Ça arrive à tout le monde.
Romain : C’est arrivé à n’importe quelle époque, à n’importe quel garçon et ça arrivera toujours. C’est ce que je veux toucher dans mon écriture : l’universel en parlant de moi, de ruptures amoureuses, de sentiments de désenchantement, de désillusions, de coups de mou qu’on peut avoir dans la vie. C’est quelque chose que j’aime bien : sentir le vécu dans une chanson en français avec des mots simples, à laquelle on peut s’identifier et qu’on peut s’approprier.
Shebam : Avez-vous conscience d’appartenir à cette nouvelle scène, appelée variété alternative, qui tente de réhabiliter la chanson française des premiers âges, dans les années 70, ainsi que la pop synthétique des 80s ?
Arnaud : On y appartient quoiqu’il arrive. En fait, avec Pendentif, Granville ou La Femme nous sommes arrivés à peu près au même constat : en l’occurrence faire des chansons en français alors que cela ne se faisait plus. Donc oui, on fait partie de cette scène-là. Après, on a notre son, notre singularité je pense…
Romain : C’est bien d’être dans une scène et en même temps ça ne l’est pas car il y a toujours un revers à la médaille. On sait bien comment ça finit les scènes. Là ce n’est pas monté de toutes pièces par des journalistes. Il y a réellement quelque chose qui à un moment donné s’est passé. Des gens qui ont eu envie de se réapproprier leur langue, un style, des choses, des sons qui ne se faisaient plus, des façons de composer qui avaient un peu disparu : une littéralité, des textes assez simples qui sont très loin de la chanson à texte française. Moi je trouve que c’est assez éloigné de ce qui se faisait dans les années 70. Ça se rapproche plus de la variété année 70, Michel Delpech, Jo Dassin, une écriture très populaire, très variété, très simple mais en même temps très bien écrite, qu’à des Manset, des Christophe, des Bashung. Nous avons intégré un côté yéyé pour les sixties et cette variété française qui fonctionnait bien, qui était bien arrangée, bien travaillée souvent par des musiciens anglais. C’est la même démarche que des mecs comme Daho et Jacno qui ont voulu chanter sur la musique qu’ils aimaient, leur background musical. Daho écoutait le Velvet Underground, les Ramones, les Pistols. Il écoutait pas Ferré et…
Shebam : Brassens !
Romain : Oui, Brassens. J’aime beaucoup Brassens mais ce n’est pas ce que l’on a envie de faire.
Shebam : Les groupes chantant en français ont toujours nourri un complexe. Mais les choses semblent changer… Et pour vous ?
Romain : Ça toujours été un faux débat ! On a systématiquement laissé entendre que l’on ne pouvait pas chanter du rock ou de la pop en français. Je me demande quand cette idée-là est réellement apparue ? Prenons les Dutronc, Ronnie Birds, tous les groupes sixties. Putain, il y avait plein de bons groupes dans les années 60, un peu moins dans les années 70, plus dans les années 80 : Gamine, Les Freluquets, ça sonnait super ! Je ne comprends pas d’où est venu le fait qu’on ne pouvait pas chanter de la pop en français ? Du coup, depuis dix ans, les gens se sont mis à chanter en anglais pour toucher l’international. Et là, on revient à une sorte de normalité. Les artistes français, qu’ils soient variété ou pop, ont toujours chanté en français. Ce qui a été une anomalie, c’est ces dix dernières années où tous les groupes français ont dû chanter en anglais. C’est une décennie particulière.
Shebam : Tu penses qu’ils vont disparaître ?
Romain : Non, non, non. Quelques-uns vont se mettre à chanter en français.
Shebam : Certains l’on déjà fait.
Romain : Beaucoup se remettent à écrire dans leur langue. Les autres continueront à écrire en anglais. Tant mieux si c’est ce qu’ils aiment. En même temps, ce n’est pas honteux de chanter en anglais. En tout cas, nous, ces groupes-là ne nous touchent pas. Ça ne nous pénètre pas.
Shebam : La cartographie de la France pop ne se limite pas à Paris avec des exemples, voire des succès, provinciaux.
Romain : On le voit avec la scène française. La plupart sont des provinciaux.
Shebam : Vous même avez grandi en banlieue.
Arnaud : En banlieue ?
Shebam : Mille excuse, j’ai du me tromper dans mes sources (rires).
Romain : Nan, moi j’ai grandi à Roanne dans la Loire et un peu à Lyon. Le bassiste est breton, Arnaud est de Reims, notre batteur est alsacien et on habite tous à Marseille !
Shebam : On se souvient des rivalités entre Londres-Liverpool ou Londres-Manchester ? Avez-vous cette ambition de rivaliser avec la capitale ou pas ?
Romain : On n’a pas cette culture-là en France. Ça c’est très anglais. À un moment donné, il y a bien eu une rivalité entre Rennes et Nantes mais c’était aussi extra musical. Rennes disait à Nantes qu’ils n’étaient pas bretons. Après, ça s’est traduit dans les scènes. Nous, on n’est pas du tout là-dedans.
Arnaud : Carrément pas !
Romain : On ne connaît pas très bien les autres groupes. Mais ce n’est pas la province contre Paris, La Rochelle contre Le Havre. C’est très anglais !
Shebam : Le rock est souvent affaire de virilité. Bien que nerveuse, votre musique semble emprunte de romantisme comme à l’époque de Chopin, de Musset. Juste une intuition ?
Romain : Ça transpire parce que moi je suis comme ça : je suis quelqu’un de très mélancolique et de très romantique, pas le romantisme au sens où on l’entend : je vais t’offrir des fleurs, on va se balader sur la plage.
Shebam : Le romantisme littéraire.
Romain : Oui, c’est quelque chose qui m’habite, je suis né comme ça. Donc évidemment cela transparait dans mes textes. Et ensuite, la musique on la voulait fragile, sensible…
Arnaud : Féminine, tu vois.
Romain : Quelque part féminine même si sur scène cela peut être parfois beaucoup plus viril, tendre vers du post punk, des racines punk. Une musique en tension, en retenue.
Shebam : Mais on retrouve ça aussi dans l’album. Il y a des passages urgents et des moments plus tendres, plus introspectifs. C’est cette part de féminité qui justement m’avait sautée aux yeux quand j’ai écrit la chronique.
Romain : On a tous une part féminine je pense. C’est un peu un cliché de dire cela mais ce n’est pas non plus une pose.
Arnaud : On est réellement comme ça.
Romain : C’est un état de fait. Après j’adore jouer du punk bas du front, des choses hardcore ou du garage nawak. Ça me plait aussi beaucoup.
Shebam : C’est comme à une certaine époque où l’on pouvait être fan de Black Sabbath et de Marvin Gaye, où l’on passait d’un disque à l’autre sans aucun problème.
Arnaud : Ouais, ce n’est pas antinomique.
Shebam : Les textes d’Aline possèdent une certaine préciosité tout en se conformant aux canons de la pop. Pensez-vous avoir trouvé le juste équilibre ?
Romain : Ouais, je crois qu’on n’est pas tombé du mauvais côté. C’est intéressant parce qu’on est toujours en équilibre. On recherche l’équilibre constant. Tu penches à gauche, tu penches à droite, tu te remets droit, tu traces tout droit. Sur certains morceaux je pense qu’on a mis le doigt sur une idée autour de laquelle je tournais depuis quelques années. Une espèce de pureté, de perfection, de limpidité, quelque chose de fulgurant. C’est mon avis. Certains diront que c’est horrible, que c’est de la merde. C’est subjectif. Pour moi, au niveau de l’écriture, cette interaction entre le texte et la musique fait que j’ai touché un truc. Cela relève parfois de la magie, tu ne sais pas comment. Mais en tout cas, je crois que l’on tient un bon truc. Alors, après, il faut éviter de jouer sur des recettes. Mais pour le moment, c’est ce que l’on voulait faire.
Shebam : De son côté, Lescop affirme vouloir écrire des chansons que l’on peut écouter sans forcément les comprendre. Vous reconnaissez-vous dans cette définition ?
Arnaud : Oui, il y a un peu de ça. On aime bien l’idée selon laquelle on peut écouter des morceaux en français sans faire gaffe aux paroles.
Romain : Il ne s’agit pas vraiment de paroles cryptiques. Je n’ai pas cherché à essayer de perdre l’auditeur. Chaque chanson raconte quelque chose de facilement compréhensible. Ça ne se perd pas en références ou en tournures de style difficiles à analyser. Il y a quelques chansons à double sens, je pense à Voleur : on n’est pas censé savoir qui parle à qui. C’est un aspect que j’aime bien, le fait que les gens puissent entendre une chanson sans savoir à qui elle s’adresse. Après, ce que tu veux dire c’est que l’on puisse écouter la musique sans prêter attention aux paroles.
Shebam : C’est ça.
Romain : Il y a une différence entre comprendre, c’est-à-dire entendre le texte mais ne pas savoir ce que l’auteur a voulu dire, et écouter les chansons sans faire gaffe au texte. C’est Souchon qui disait ça : il ne faut jamais que le message du texte gâche la musique, la chanson, la mélodie. Ça doit pouvoir s’écouter soit comme un bloc entier soit en profitant uniquement de la mélodie et de la ligne de chant. Ce qui est important c’est ce que l’on raconte dans une chanson. Il ne faut pas que le message brouille tout et inversement.
Shebam : J’aime aussi le qualificatif qu’on vous prête parfois, à savoir la pop ligne claire. Mélodiquement, la musique d’Aline reste fondamentalement « lisible ».
Arnaud : Même au niveau du son, c’est la ligne claire. Il n’y pas de guitare saturée ou très peu même si on entend de la fuzz. En majorité, on utilise des arpèges relativement clairs avec de la révèrb’ mais toujours cristallins. C’est vraiment le son d’Aline : tout est clair. C’est pour ça qu’on a fait appel à Martin Etienne pour la pochette car il a cette patte.
Romain : Il y a aussi un côté jangle pop, quelque chose de carillonnant. Il y a cette idée de carillons qu’avaient les Beatles, les Byrds au début, les Byrds américains par les Birds anglais. Ils ont amené ce style carillonnant dans les guitares, dans les arpèges. Des sons très célestes, très aériens, très clairs. C’est un mélange de jangle pop et de ligne claire. C’est clair dans tous les sens du terme. Il y a aussi une forme de limpidité : il faut que cela soit assez direct, addictif, sans détours et qu’il y ait une épaisseur, une profondeur.
Shebam : Le tout dans un format qui est assez restreint.
Romain : Un format pop ultra codifié, utilisé depuis très longtemps. C’est le format que je préfère et dans lequel je m’éclate. Parce qu’en trois minutes trente tu dois raconter plein de choses.
Shebam : Renoncer au français serait-il un casus belli ?
Arnaud : Renoncer au français ? Je ne pense pas qu’on le fera.
Romain : Faut pas être con, obtus et buté. Il ne faut pas s’interdire des trucs non plus. On peut aussi chanter en anglais.
Arnaud : Pas pour Aline.
Romain : Plus pour des projets particuliers, des duos, des collaborations.
Shebam : Comme pour vos chansons en italien.
Romain : Oui, c’est Alex Rossi qui a écrit les textes. Et puis, l’italien ce n’est pas l’anglais, tu vois. Les italiens sont plus proches des français que les français des anglais. Avec l’italien, tu as une compréhension instinctive de ce que le mec raconte. En revanche, c’était vraiment un exercice de style.
Arnaud : Dans la langue italienne, il y a des sons vraiment charmants. Ce qui est marrant avec l’italien c’est que cela te permet des arrangements qui ne sont pas les mêmes qu’avec le français ou l’anglais. Des arrangements plus kitschs.
Romain : Tu peux jouer avec les codes de la variété pop italienne, des années 50 à l’Italo disco. Ce côté romantique, ensoleillé, très direct aussi.
Shebam : Tu parlais des arrangements : vous gardez la main dessus ? C’est un domaine qui vous intéresse ou vous espérez un Phil Spector ?
Romain : Nan, nan, nan. C’est notre domaine réservé. C’est assez difficile de déléguer. Quand on est arrivé en studio, on avait les idées, on savait ce que l’on voulait, comment les guitares devaient sonner, on savait le son de batterie que l’on désirait. Après, il fallait magnifier cela, le sublimer et le rendre aussi écoutable. On tient quand même à avoir une liberté artistique totale et surtout le final cut sinon ce n’est pas possible. On collaborerait avec un Phil Spector ou je ne sais pas, Martin Hannett, ça serait pareil. Jean-Louis Pierrot, on lui a laissé sa part de liberté.
Arnaud : De lui même, il n’a pas voulu modifier les arrangements qu’on avait trouvés malgré son background et tout ce qu’il a pu faire.
Shebam : Il vous a laissé relativement libre et autonome.
Arnaud : Non ce n’est même pas ça. Pour lui, les arrangements étaient déjà là et il a tout fait pour les magnifier. Il est parfois intervenu sur les structures mais très peu.
Romain : Il a joué des claviers car notre clavier était absent pendant les enregistrements.
Shebam : Quel avenir voyez-vous pour Aline ?
Arnaud : L’avenir qu’on voit ou l’avenir qu’on espère ?
Shebam : Les deux mon capitaine !
Arnaud : On espère que l’album va quand même se vendre, on espère pouvoir faire des concerts puis un deuxième album. Continuer, continuer…
Romain : Trois ou quatre albums ça serait bien ! Et après, peut-être passer à autre chose.
Arnaud : On verra.
Romain : Développer d’autres projets.
Arnaud : Parallèlement à Aline on commence à faire d’autres choses.
Romain : Déjà si on faisait deux putains de bons albums, enfin pour aller plus loin, si on faisait un deuxième album bien meilleur que le premier, ça serait super. Imprimer un style, une patte, ancrer des chansons dans l’inconscient collectif, faire des tubes, des chansons qui resteront quoi !
Arnaud : C’est le but.
Romain : C’est ma vision des choses !
Shebam : Dans la mythologie du rock, il y a toujours cette idée du groupe qui n’arrête pas d’écrire : en tournée, dans les backstages, dans les chambres d’hôtel… Là, vous avez la matière d’un deuxième album ?
Romain : Clairement depuis un an on n’a pas eu le temps. Quand je dis qu’on n’a pas le temps, si on a quelques démos : on a des choses.
Arnaud : On s’oriente plus vers des side projects comme avec Alex Rossi ou le groupe Montréal. On a besoin déjà de développer cet album.
Romain : Ce qui est important c’était de le finir et de le sortir pour nous car ça a été long, assez pénible même.
Arnaud : Ça a été dur…
Romain : … Usant. Et donc c’est bien d’avoir mis un terme à ce premier album. On va commencer à y voir un peu plus clair, qu’il se vende ou non. Au moins, il sera là.
Arnaud : On a fait tout ce qu’il faut en terme de créativité artistique et de promo pour que cela se passe bien…
Romain : On n’aura pas de regret quoiqu’il arrive : on est fier de notre album. On voulait qu’il soit comme ça et il l’est ! Maintenant, le champ des possibles est ouvert. Je ne sais pas, on verra. Moi je n’aime pas faire des plans sur la comète. Je réfléchis à trois jours moi. Au-delà, ça m’angoisse, ça me fait très peur.
Shebam : Tu disais quatre albums… Dès qu’on a dépassé cette limite on est moins créatif ?
Romain : Quatre ou trois. Il faut avoir des choses à dire. Là, il se trouve que j’en avais. Il ne faut pas se forcer, faire un album pour faire un album. Je pense qu’il faut avoir la matière, vivre de nouvelles expériences. Il faut aimer, je ne sais pas, voyager…
Arnaud : Il faut vivre des trucs.
Romain : Il faut se nourrir de la vie. Tu ne peux pas faire quatre albums sur le même thème parce qu’après ça en devient ridicule. Après, c’est une pose. Là ce n’est pas une pose. Tout a été spontané, vécu, tu vois, ça n’a pas été réellement pensé, c’est un truc qui est jeté comme ça. Est-ce que sur un deuxième album, avec les mêmes thèmes, ça peut être aussi frais, aussi spontané ? Je ne sais pas, je n’en sais rien. Ce qui est intéressant c’est de donner une part de soi, raconter des choses. Si je n’ai rien à dire, moi je ferme ma gueule.
Shebam : Envisagez-vous la possibilité de concurrencer des formations anglo-saxonnes, même de vous imposer à l’international comme on a pu le voir avec la scène suédoise ?
Arnaud : Ils chantent en anglais. Je pense qu’on aura du mal. Les États-Unis, je n’imagine pas.
Romain : Il faut un succès de masse. On a séduit pas mal de gens autour du monde. Mais l’internationale indie pop c’est une niche. Après au-delà, avoir un succès beaucoup plus massif, je ne crois pas que cela soit possible en chantant en français.
Arnaud : Faut pas rêver non plus.
Shebam : Plus globalement, comment voyez-vous le futur de la pop ? Doit-il passer par une quête permanente de modernité ? Le rétro peut-il tuer la créativité ?
Arnaud : Je pense que le rétro peut alimenter le modernisme même si c’est un mot que l’on n’aime pas trop. Après se tourner complètement, à 100%, vers le rétro, je ne pense pas que cela soit une solution.
Romain : Ce n’est surtout pas quelque chose dans lequel tu peux nous mettre. Le rétro, le vintage, le revivalisme, ce n’est pas du tout notre propos. Encore un fois, c’est de faire des choses intemporelles. Si c’est une belle chanson bien écrite et qui touche les gens, on s’en fout de l’époque à laquelle elle a été écrite…
Arnaud : … De comment elle a été arrangée. Rétro ou pas, il faut qu’elle touche, qu’elle marche.
Romain : Il y a des chansons qui toucheront tout le temps. C’est ça l’intérêt. Après, sonner moderne pour sonner moderne cela n’a aucun intérêt. Ce qui est plus intéressant, c’est l’avant-garde. Ça oui, c’est passionnant, les avant-gardistes : les gens qui vont réfléchir au-delà. Ce n’est pas un gage de qualité de sonner contemporain, comme d’être rétro. Le gars qui cherche absolument à être rétro, il peut produire de belles choses. Mais ça ne sert à rien, ça ne parle pas. Moi je n’ai pas l’impression de faire du rétro. J’aimerais bien que cela reste intemporel, que Elle m’oubliera, Je bois et puis je danse puissent s’écouter dans 25 ans. C’est tout ce que j’ai envie de faire. Après sur des side projects, ça peut être rigolo d’essayer des choses. D’aller voir au-delà, de tenter des idées. Ce que je faisais avec Dondolo : essayer de nouveaux outils. Mais là, on n’est plus dans le cadre de la pop, de la chanson. C’est autre chose. C’est une autre recherche. Tu as la cuisine moléculaire et la cuisine traditionnelle. Alors parfois en cuisine, tu as envie d’expérimenter, de travailler avec l’oxygène, de faire des trucs gazeux, des verrines. Et puis parfois, tu as envie de te taper un bon pot-au-feu. Je crois que les deux peuvent cohabiter. Et puis tant qu’il n’y aura pas de nouveaux outils, de révolution technique, il n’y aura pas de musiques vraiment nouvelles.
Shebam : Et tu parlais d’avant-garde. On pourrait imager dans un deuxième ou troisième futur album une démarche, une inspiration, j’allais dire progressive… Je sais que le mot est parfois mal perçu mais…
Arnaud : Ça fait peur le mot « progressif »…
Romain : Non. Dans le cadre d’Aline, ça ne sera probablement jamais le cas. Je viens de là et c’est ce que je ferai toute ma vie : je recherche la chanson parfaite. Je crèverai avec ça : cette putain de quête de la chanson parfaite. Et à côté d’Aline, on pourra essayer d’autres choses, s’amuser avec des sons, essayer de réfléchir à des formes nouvelles mais ce sera différent. Non, la recherche de la chanson parfaite, c’est le graal.
Shebam : Quelle île déserte emporteriez-vous dans un disque ?
Arnaud & Romain : C’est pas mal ça !
Arnaud : Comment répondre à ça ?
Romain : Ile déserte ? Il faut vraiment qu’elle soit déserte ?
Shebam : C’est une question farfelue donc, par définition, ouverte : toute réponse sera acceptée.
Romain : Alors moi, j’emporterai un livre qui s’appelle Il déserte écrit par un camarade à moi, Régis Maynard. Il déserte, c’est le prénom du héros : Ilian. Donc je l’emmènerai dans un livre. Un livre dans un livre…
Arnaud : Qu’est-ce que je vais répondre à ça ? Toi tu avais une réponse bien. Quelle île déserte j’emporte avec moi ?
Romain : Frioul ?
Arnaud : Oh la vache ! Marseille, ouais, je ne peux répondre que ça en même temps : Frioul !
Shebam : On inverse les rôles. Posez-moi une question.
Arnaud : T’as quel âge ?
Shebam : 37.
Romain : Tu es venu pour quel groupe ce soir ?
Shebam : Nan, je suis venu pour vous rencontrer ! Mais tout peut arriver : la vie est pleine de surprises. En fait, j’attends un coup de fil : une proposition de soirée.
Romain : D’accord. Quel genre de soirée ?
Shebam : Soirée privée.
Romain : privée ou privée ?
Shebam : Privée mais tout à fait décente !
Arnaud : Oh nan, ce n’est pas drôle.
Shebam : Je ne peux pas répondre, car ma femme n’est pas là. Et si je lui disais que je vais dans une soirée privée, elle risquerait de mal le prendre !
Romain : Donc, tu triches !
Shebam : Elle va me dire « dans quels sales draps tu t’es fourré ? ».
Romain : Ben écoute, ça change un peu des questions… euh…
Shebam : Merci !
Romain : Je te le piquerai ça, « quelle île déserte emporterais-tu… ». Je te citerai ! Je ferai un copyright ! Tu avais fait une chronique de l’album : elle était super bien !
Shebam : Je le disais tout à l’heure : cet aspect féminin m’avait vraiment frappé, cette douceur, cette préciosité et à la fois dans le cadre d’une chanson simple, formellement très aboutie, parfois très rythmé, quasi crescendo…
Romain : C’est une intention graphique.
Shebam : Exactement !
Romain : On parlait des années 80 : pendant ces années-là, la musique était très graphique. Tout était très graphique, très contrasté, sur le fil du rasoir. Contrairement aux années 70 qui étaient très échevelées, dans les fringues, la musique avec des morceaux qui duraient douze minutes.
Shebam : Ouais c’est ça.
Romain : Puis après, on est arrivé à une espèce de concision qui vient du rock des années 50, quelque chose de viscéral, de séminal en fait. Et pour Aline, je voulais produire quelque chose de séminal : retrouver une essence comme ça. Quelle heure est-il ?...
C’est sur cette interrogation temporelle, coincée entre deux analyses passionnantes sur les décennies passées, que nous nous quittons. L’interview est dans la boîte. Plein de bonnes choses à graver, imprimer, chérir même. Du vrai, de l’authenticité, une vision de la musique simple mais réelle, têtue dans son aspect quasi obsessionnel : La chan-son, mec ! Une rencontre entre exégèse et transfiguration. Tout bonnement. Maintenant et pour paraphraser Romain, « Rien à faire il faut choisir, moi je sais qu’il faut partir, loin. » Au revoir Aline, welcome ma soirée privée ! Allo, chérie ? Une soirée privée ? Mais quelle soirée privée ?
©Photo Marielle S.
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