À L.A. donc, la pop est reine. Brian Wilson des Beach Boys a ouvert la voie en livrant pour l’éternité le lumineux Pet Sounds et Smiley Smile, ébauche imparfaite de SMiLE. Plus pragmatiquement, trois formations incarnent le renouveau de la scène rock américaine. Les Byrds d’abord. Une institution pour un groupe qui a su conserver, au fil de sa discographie, une constance relativement rare dans l’histoire de la pop. Parmi les disques légendaires, l’année 67 voit la sortie de Younger Than Yesterday, classique entre les classiques et porte-drapeau d’un genre typiquement américain : le psychédélisme country. Derrière cette appellation un brin rigoriste, se cache un rêve, celui de donner au country western une dimension spatiale et par la même une universalité apte à l’inscrire dans le temps. Œuvre relativement courte, moins de trente minutes, Younger Than Yesterday synthétise toutes les options retenues par le groupe depuis Mr Tambourine Man. Le départ in extremis de Gene Clark, songwriter et pilier des Byrds, n’entame en rien l’équilibre de ce nouvel opus. En fait, cet événement va enfin donner à Hillman et Crosby un espace pour exister. Ce dernier délivre ces titres tout en délicatesse que sont Renaissance Fair, Everybody’s Been Burned et Mind Gardens si conformes à l’air du temps. Hillman et McGuinn ne sont pas en reste qui proposent à leur tour leur lot de tubes incroyables, marque de fabrique des Byrds. Rappelons au passage que les Oyseaux incarnèrent plus que tout autre groupe la réponse la plus crédible aux quatre de Liverpool. Dans la même lignée, les hommes se connaissant intimement, le Buffalo Springfield. Articulé autour de Stephen Stills, Neil Young et Richie Furay, ce groupe encore méconnu aura livré le tube ultime de l’année 67, For What It’s Worth, et un album considéré aujourd’hui comme une œuvre majeure,
Buffalo Springfield Again. À l’image des Byrds, le quintet californien perpétue une veine résolument country mais avec tous les fards de la pop. Disons-le sans ambages, le groupe écrit en trois albums fondamentaux une page importante de la pop US. Si Furay apporte quelques chansons remarquables, c’est à Stills et Young que l’on doit les compositions les plus notables au rang desquelles Everydays, Bluebird, Hung Upside Down et Rock & Roll Woman pour Stills et Mr. Soul, Expecting To Fly et Broken Arrow pour Young. L’intemporalité de leur écriture combinée à la force de la production consacrent les artistes qui exploseront en solo et au sein du super groupe mythique, Crosby, Stills, Nash & Young. Un peu en retrait évolue Frank Zappa. Ce musicien génial, auteur, compositeur, multi instrumentiste et producteur ne court pas vraiment après la Beatlesmania. Pas plus qu’il ne suit en bon élève les efforts de ses homologues sud californiens. Néanmoins, sa vision, son pointillisme, sa fantaisie lui valent de figurer au panthéon des grands noms de la pop américaine. Difficile d’isoler dans la masse pléthorique des albums du maître une œuvre en particulier. Cependant, l’extrême régularité de Zappa, un album minimum par an, permet d’isoler tout naturellement son deuxième et fabuleux Lp avec les Mothers of Invention, Absolutly Free. Absolue liberté. Le titre n’est pas vain tant les contraintes furent nombreuses. Enregistré lors d’une séance marathon de quelques jours seulement dans une logique purement comptable, l’album fait étalage des multiples talents de Zappa, écriture, interprétation, production, faisant ainsi preuve d’un raffinement pop plus affirmé encore. Clavecin, flûte, clarinette s’ajoutant à la panoplie du groupe qui n’oublie pas pour autant son sens de l’autodérision, cet esprit d’avant-garde qui conduira certains exégètes à classer l’opus dans le genre abscons de comedy rock. Pourtant l’édifice s’avère complexe, mêlant vignettes rococos et longues plages… Free. Pour le plus grand plaisir des fans et des critiques rock qui voient dans la geste zappaïenne un intellectualisme parfaitement en accord avec l’esthétique pop. Il s’agit du deuxième chef-d’œuvre d’une longue série qui donne à la notion d’Œuvre tout son sens.
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Contrairement à la cité des anges, la scène san franciscaine semble plus décousue. Et pourtant, la ville va offrir à l’Amérique sa formation la plus populaire : Jefferson Airplane. Au début, le groupe se cherche. Il n’est encore qu’un avatar de ce folk-rock byrdsien éminemment cristallin. Après un premier album propre sur lui, et un changement de chanteuse, Signe Anderson faisant place à la très photogénique Grace Slick, l’Airplane se stabilise. Assiette parfaitement droite. Surtout, Grace Slick emporte avec elle deux chansons qui imposeront le groupe dans les charts nationaux : Somebody to Love et White Rabbit. Le succès est immense. Derrière l’évidence de ces deux hits, se dessine surtout un style à nul autre pareil. Ballades intenses, mêlant l’électrique à l’acoustique, voix masculine et féminine, scandées par un tambourin fantomatique. Cette formule magique est immortalisée en février 1967 avec la sortie de Surrealistic Pillow. Le titre en dit long. La musique du Jefferson Airplane se veut rêveuse autant que sérieuse. Selon les propres mots de Slick, le groupe préférait chanter « Do you want somebody to love » plutôt que « I want to hold your hand ». Sexe, drogue et rock’n’roll donc. Sainte trinité. Une vérité frappe l’auditeur : Surrealistic Pillow demeure sans aucun doute l’album qui a su le mieux capturer l’esprit d’une époque, voire d’une année, 1967. Rien d’étonnant à cela, Jerry Garcia, le lead guitariste du Grateful Dead, y est crédité comme musical and spiritual adviser. Il s’agit d’un nouveau chef-d’œuvre de l’âge adulte de la pop, au même titre que le premier Doors. Transcendé par l’acide, le groupe entre à nouveau au RCA studios. Le 30 novembre 67, il accouche non sans peine, après quatre mois de labeur, d’After Bathing at Baxter’s dont l’emphase révèle cependant des chansons limpides et formellement abouties : The Ballad of You and Me and Pooneil, Martha, Rejoyce ou Won’t You Try/Saturday Afternoon. De l’autre côté de la baie de San Francisco, Berkeley. Le royaume des étudiants, des intellos et des cocos. La scène musicale y est plus politisée. On décèle cependant une réelle dimension musicale chez Country Joe & The Fish dont le patronyme semble renvoyer à une obscure formation de jug band blues. Il n’en est rien. La même année, le groupe sort ses deux premiers albums qui synthétisent le meilleur du psychédélisme avec ce qu’il faut d’audace et d’immédiateté. Le premier par son titre incarne un état d’esprit. Music for the Mind and Body. La rencontre fusionnelle entre un rock fait pour bouger et une pop faite pour rêver, voyager. Joe McDonald est issu d’une famille rigoriste. C’est tout naturellement qu’il embrasse la contre-culture naissante du début des sixties. Installé à Berkeley, il croise la route du guitariste Barry Melton et fonde Country Joe & The Fish. Rejoint par David Cohen, Bruce Barthol et Chicken Hirsh, le groupe fait les beaux jours des après-midis californiens. Très rapidement, ils prennent la direction des studios pour y graver leur premier album. Produit par le blueseux Sam Charters, le groupe conserve une approche très rock, délestant ses compositions des apparats alors en vigueur ; sitar, violons etc… La guitare crissante de Barry Melton et l’orgue farfisa de David Cohen habillent à merveille les chansons de Joe qui tour à tour, évoluent d’un registre à l’autre : blues au cordeau, ballade romantique, rock nerveux, pop sémillante et ces longues pièces en apesanteur qui demeurent la traduction la plus juste du trip psychédélique. Il s’agit de l’un des tout meilleurs disques de rock psyché avec sans doute le premier Pink Floyd et Easter Everywhere du 13th Floor Elevators. Galvanisé par l’intense créativité de ces premières séances, le groupe décide de réaliser un deuxième opus dans la foulée, moins inventif mais tout aussi excellent : I-Feel-Like-I’m-Fixin’-To-Die. Les années suivantes verront tous ces groupes migrer progressivement vers un country rock moins tumultueux. L’été s’était ainsi achevé.
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Une année décisive pour la jeunesse américaine et leurs idoles. En guise de symbole, ces deux mondes se croisent les 16, 17 et 18 juin au Monterey International Pop Music Festival organisé par l’incontournable John Phillips et qui réunit la crème de la nouvelle scène rock américaine. Au-delà des mouvements de révolte estudiantins, l’année 1968 confirmera l’approche des artistes américains. Qu’ils s’appellent Harry Nilsson, Spirit ou Simon & Garfunkel, chacun propulse la pop US vers des sommets de créativité inexplorés, prolongeant ainsi l’esprit du summer love. Avec ces groupes, l’Amérique tient enfin sa revanche sur l’Angleterre et ce malgré un ancrage musical marqué par le blues. East Coast ou West Coast, la délicatesse n’a pas de territoire réellement défini. Elle navigue au gré de l’inspiration, nourrie par le travail et le désir d’expérimenter, de s’évader, de passer de l’autre côté. Constat édifiant et quasi prophétique puisque l’on note aujourd’hui le même rapport de force entre l’Amérique des années 2000, pleine de vitalité pop avec des formations comme les Shins, MGMT, Grizzly Bear, Fleet Foxes, et une Angleterre groggy par la mort de Amy Winehouse et la démission musicale de Pete Doherty, patachon oisif. Attention, des formations comme Metronomy, The Horrors ou Django Django pourraient renverser la situation. Cet été de l’amour prouve au moins une chose : les groupes américains ne furent en rien des ersatz. Mieux, ils réussirent à faire de l’ombre à leurs concurrents anglais. Quoi de plus naturel s’agissant d’une musique profondément radieuse et solaire.
The Byrds, Younger Than Yesterday :
http://www.deezer.com/fr/album/111737
Buffalo Springfield Again :
http://www.deezer.com/fr/album/735458
Frank Zappa & The Mothers of Invention :
http://www.deezer.com/fr/album/4241481
Jefferson Airplane :
http://www.deezer.com/fr/album/77496
http://www.deezer.com/fr/album/78698Country Joe & The Fish, Electric Music for the Mind and Body :
http://www.deezer.com/fr/album/301706
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