Summer of Love’s almost gone ? (Part I)

par Adehoum Arbane  le 06.11.2012  dans la catégorie C'était mieux avant

1967, éternel été de l’amour de l’Amérique.

Trois petites années qui changèrent le cours de l’histoire. De 1965 à 1967, les Beatles, déjà incontournables, posent les canons de la pop pour les décennies à venir à travers trois opus majeurs : Rubber Soul, Revolver et Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band. La Grande-Bretagne est en ébullition. Ce saut dans l’inconnu, bien que déjà très codifié, va emporter nombre de jeunes formations. Sgt Pepper’s marquera les esprits au fer mauve au point de devenir une expression consacrée qualifiant la quête du graal pop : « Hé, les mecs, on va graver en studio notre Sgt Pepper’s à nous ! » Parmi ces jeunes formations, Pink Floyd, entre les mains expertes de Syd Barrett, délivre un joyau de pop anglaise pervertie par les sortilèges du psychédélisme et pas n’importe lequel qui teintera leur musique en devenir de couleurs cauchemardesques. Paul Alessandrini ne s’y est pas trompé, qui dresse dans les pages de Rock&Folk un portrait très flatteur du groupe. Mais la barre est tellement haute, la plupart des imitations s’avérant incapables de se hisser au niveau. Hormis quelques exemples isolés, comme l’Incredible String Band qui sort la même année The 5000 spirits or the Layers of the Onion, classique de l’acide folk, le reste de la production britannique ne sera que pure mise à jour formelle. Updating mélodique. En Amérique, la riposte se prépare.

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Bob Dylan. Le barde de Greenwich Village incarne la figure américaine du Renouveau. Il est surtout le premier à l’instar des Beatles à opérer une mue saisissante entre le folk traditionnel des débuts et un rock plus mature, fait pour séduire les foules sans rien concéder à la facilité ; Dylan est et restera le grand poète de la contre-culture. Sa révolution, il la fait en trois albums mais avec un an d’avance sur ses concurrents anglais. Bringing It All back Home, Highway 61 Revisited et le double album Blonde On Blonde constituent la sainte trinité de la pop US devant laquelle quelques groupes angulaires viendront se prosterner. Dont un certain John Lennon qui saura s’en souvenir au moment d’écrire Working Class Hero. Toutes ces productions musicales déjà révolutionnaires possèdent un dénominateur commun, au-delà de la conscience politique insufflée par Dylan : la marijuana et plus particulièrement le LSD, véhicule idéal d’expérimentations sans fin. Dès 66, la jeunesse américaine s’enveloppe l’esprit dans un nuage doucereux d’herbe. Parmi ces potheads se distinguent de jeunes musiciens désireux de poursuivre l’aventure initiée par la trilogie Beatlesienne mais en y incorporant leurs propres influences, le blues et le folk. Aux quatre coins de l’Amérique des « scènes » émergent avec leurs spécificités, leurs codes, variantes d’un psychédélisme qui ne dit pas encore son nom. La plupart des groupes qui signeront en 1967 leur(s) chef(s)-d’œuvre appartiennent tous à trois villes, véritables capitales de la pop US. La plus lointaine, la moins logique mais de laquelle tout part : New York. La Grosse Pomme y voit naître la scène folk et le mouvement des Protest Singers, première incarnation des singer-songwriters qui envahiront les paisibles collines de Laurel Canyon dans les années 70. Transpercée comme Saint Sébastien de flèches de béton, NYC est le terreau d’un rock éminemment littéraire qui sait se nourrir de ses légendes urbaines, ramasser sur ses trottoirs crasseux et mal famés l’inspiration pour raconter le côté obscur du rêve américain. Aux antipodes, la côte ouest rêveuse, éternellement figée dans un été ondoyant. Au sud, Los Angeles, ville où règne le professionnalisme. Sans doute la proximité avec Hollywood et son industrie cinématographique explique-t-elle cette inclination qui se révèlera plus tard un atout. Plus haut, comme perdu dans les brouillards climatiques (et drogués), San Francisco. Ville de la Bohème. Ancien port déversant quotidiennement ses flots ininterrompus d’étrangers magnifiques. Du reste, la route ramène aussi, comme le bras de la mère vers son sein, aventuriers, déshérités et marginaux de toutes sortes. Dans les années cinquante, ce furent d’abord les Beatniks, Kerouac en tête, qui firent de Frisco leur port d’attache. Puis vint le temps des premiers hippies. Ces derniers élisent domicile dans le quartier victorien si chamarré de Haight-Ashbury. Rappelez-vous la pochette d’After Bathing At Baxter’s du Jefferson et son curieux aéroplane en forme de maison multicolore. Plus bas, c’est dans le Golden Gate Park, où les nouveaux fils de l’Eden pop se rassemblent en fraternelles processions, que débute l’été de l’amour avec le tout premier Human Be-In, le 14 janvier 1967. La couleur est annoncée dans la chanson composée par John Phillips des Mamas & Papas pour Scott McKenzie : « If you’re going to San Francisco, be sure to wear some flowers in your hair, If you’re going to San Francisco, you’re gonna meet some gentle people there ». Le San Francisco Oracles se fait l’antenne du mouvement qui attire durant tout l’été des milliers d’étudiants venus s’abreuver de drogues et goûter à l’extase de l’amour libre. Au rêve communautaire. Certains ne quitteront jamais la ville. Troupe de théâtre aux visées anarchiques, les Diggers se font les chantres visuels d’un psychédélisme californien mis alors en musique par le Grateful Dead. Car l’été de l’amour sera avant tout un été musical… 

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De ces trois points cardinaux se dessine une carte géographique pop dont quelques groupes majeurs ont posé les bases avec comme ambition (folle ?) de surpasser les Beatles. Et plus particulièrement Revolver, album perçu comme traumatique. Chacun a, durant l’année 67, sorti un, voire deux albums qui nous intéressent aujourd’hui par leur puissance formelle, leur singularité propre. Reprenons donc cette carte, déployons-la. Retour à NYC. Lou Reed a grandi à Long Island, John Cale lui a passé l’essentiel de son enfance dans le Pays de Galles. Lou apprend très tôt le piano, quant à Cale, il intègre dès son plus jeune âge une école de musique londonienne. Ses dons lui permettent de décrocher la bourse Leonard Bernstein et d’entrer ainsi au conservatoire Eastman, dans le Massachusetts. Lou Reed a un parcours plus chaotique qui le prédisposera au rock déviant dont il fera sa marque. Issu d’une famille juive pratiquante, le jeune Lou subit le traumatisme d’une cure d’électrochocs censée le guérir de son homosexualité. Experience imprimée au plus profond de sa chair. De son côté, John Cale évolue au sein de l’avant-garde new-yorkaise et lorsqu’il croise Lou Reed, il ne parie pas un copeck sur ce dernier. C’est à la lecture de ses textes que le sombre gallois change d’avis. Heroin notamment. Froideur et vérité parlent alors au musicien. Quelque temps après, Sterling Morrison et Moe Tucker ont rejoint les deux têtes pensantes, le quatuor s’incarnant pour l’éternité en souterrain de velours ; le Velvet Underground. Andy Warhol parraine la formation qui fait alors les belles heures des soirées organisées à la Factory, Babel contemporaine. C’est là que le groupe binoculé rencontre la glaciale et sublime Nico. Entre avril et septembre 1966, le collectif entre en studio pour y graver son premier opus. Un magnum opus en vérité ! The Velvet Underground & Nico. Lapidaire. Sous le patronyme de noir revêtu, une banane warholienne qui, si l’on en croit la légende urbaine, révèle un buvard d’acide sitôt qu’on l’a pelée. La magie, l’équilibre parfait de l’album tient dans cette formule : pop songs sucrées versus jams soniques. Lou Reed a tout jeté dans ce disque en plus de sa prose inquiétante : rock fifties un brin voyou, soul chamarrée, le tout revitalisé par l’alto de Cale et la rythmique binaire, cardiaque de Maureen Tucker. C’est un choc, électrique, sardonique, mais aussi doucereux, voluptueux, quelque chose qui vous lamine tout en vous embrassant. Une violente caresse pour ainsi dire. À cette heure, où sont passés les Beatles ? Une chose est sûre, le propos est nouveau. Il déroute même. Les radios boudent, la critique fait mine d’ignorer. Et pourtant. Personne ne se remettra d’une telle expérience, pas même le groupe qui l’année d’après récidive dans l’obscène pour retrouver sur son troisième Lp une inspiration plus stable, enfin pacifiée. Quant à la descendance, on ne compte plus les formations qui se revendiquent de leur esthétique. À commencer par Sonic Youth. 

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 En comparaison de New-York, Los Angeles frappe par sa moiteur suave, ses couleurs plus chaudes quoiqu’outrancières. Une carte postale pour touriste. Là-bas, les corps sont beaux, dénudés. Les hippies se mélangent aux surfeurs qui effleurent les joggeurs qui toisent les acteurs qui se mêlent à la foule des people. Le soleil est un gigantesque flash d’appareil photo. En 67, le Sunset Strip s’impose comme le cœur de la vie nocturne avec ses clubs où les futures stars de la pop jouent le premier acte de leur destinée. Parmi eux, quatre jeunes gens élégants se produisant sous le patronyme si expressif des Doors. Si leur musique est un voyage, le groupe en est le véhicule parfait sous l’égide poétique et sensuelle du jeune Morrison dont les postures, l’aisance calquent dans chaque rétine une vision neuve, puissante. Fasciné, le producteur maison de Elektra Records Paul Rothchild invite immédiatement le groupe en studio pour y enregistrer son premier album éponyme. Savant mélange de Chicago Blues, de nouveau rock et d’épopée acide, The Doors donne à l’Amérique son premier classique post-Revolver. L’alchimie est parfaite entre les membres du groupe qui, chacun à leur tour, apportent leur pierre à l’édifice. Manzarek inonde l’album de nappes néo-classiques encore imprégnées de blues. Krieger s’illustre par la très grande fluidité de son jeu aux influences hispanisantes, le musicien avait l’habitude de jouer sans médiator. Quant à Densmore, son approche jazz de la batterie convient à merveille au style mélodramatique des chansons de Morrison. Quelques mois après, les Doors retournent en studio enregistrer Strange Days qui délaisse parfois le blues pour approfondir ce nouveau rock en gestation, tout à la fois complexe et immédiat. Une pop music pour adulte en somme. Dans les mêmes studios, un autre groupe enregistre lui aussi deux albums immenses. Love est la chose d’Arthur Lee dont l’extrême paranoïa et l’angoisse d’une mort imminente le poussent alors dans ses ultimes retranchements. Avec Da Capo, sorti en janvier 1967, Love réussit ce que les Stones ont partiellement concrétisé dans leur courte période élisabéthaine. Tout le génie arthurien se résume en deux faces, l’une pleine d’influences baroques, étoffée par des flûtes roucoulantes et des clavecins vaillants, l’autre plus expérimentale, offrant la toute première jam de l’histoire du rock, longue de presque dix-neuf minutes. La sophistication la plus évidente y côtoie le rock le plus sauvage, porté par les feulements hystériques de Lee sur Revelation. Esthétique qui constitue la plus belle réponse à la pop mille-feuille des maîtres anglais. Quelques mois plus tard, le groupe réinvestit le studio pour y enregistrer son chef-d’œuvre aujourd’hui révéré par un petit cercle de fans absolus : Forever Changes. À l’origine, le mythique ingénieur son Bruce Botnick souhaite recruter Neil Young comme producteur mais ce dernier semble accaparé par son propre groupe, Buffalo Springfield, dont nous reparlerons plus loin. Finalement, il décidera d’occuper lui-même le poste, accompagné par Arthur Lee dont la créativité est à son paroxysme. Celui-ci fournit l’ensemble des compositions,  à l’exception du sublime Alone Again Or, qui ouvre l’album, et de Old Man, tous deux signés Bryan McLean. Botnick fourmille d’idées. On lui doit l’ajout d’une section de cuivres mariachis qui donnera au disque sa couleur si particulière. La cohérence, l’inspiration, la délicatesse des thèmes au milieu d’un ensemble très rock confèrent à Forever Changes un impact peu commun à l’époque. Sans doute une telle originalité aura un peu plus éloigné le groupe de son public, l’album ne rencontrant pas le succès escompté. L’année d’après, Arthur Lee, fort d’un nouveau line up, se réapproprie un style hélas banalement rock. Autre signature Elektra, Tim Buckley symbolise la figure du poète musicien explorant, album après album, des territoires nouveaux parfois proches du jazz. En juin 1967, Buckley doit à son label un deuxième disque. Si le premier déclinait un folk-rock  dans la lignée des Byrds, Buckley décide avec le second d’exprimer haut et fort ses ambitions musicales. Toujours épaulé du poète et ami Larry Beckett et de l’habile guitariste Lee Underwood, le jeune musicien tout juste âgé de vingt ans s’enferme en ce joli mois de juin 67 avec ses musiciens. En septembre, Goodbye & Hello arrive dans les bacs. Et c’est un choc. Une fois de plus, la sophistication atteint des niveaux inégalés. La richesse des arrangements témoignant de l’exigence des artistes de l’époque. Surtout, la diversité des climats étonne. Protest song, pop carnaval, ambiances hallucinées, tonalités doucement médiévales, cet attelage pourrait dérouter, ne jamais fonctionner. Il n’en est rien. Chaque élément s’assemble pour créer un univers propre qui trouve son expression ultime dans le morceau titre, suite à tiroirs longue de huit minutes et quarante deux secondes. La précision de la musique ne serait rien sans la voix séraphique de Tim Buckley, parfaitement à l’aise dans tous les registres. Voix qui s’évanouira dans les vapeurs mortelles de l’héroïne le 29 septembre 1975.

(À SUIVRE)

The VU & Nico :
http://www.deezer.com/fr/album/6005349

The Doors :
http://www.deezer.com/fr/album/83031

Love, Da Capo :
http://www.deezer.com/fr/album/89290

Love, Forever Changes :
http://www.deezer.com/fr/album/85886

Tim Buckley, Goodbye & Hello :
http://www.deezer.com/fr/album/667033







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