Si on prend le temps d'observer la pop de façon presque scientifique, il semblerait que celle-ci ait été conçue pour être parfaite. Son aptitude à séduire les masses en atteste, les marées humaines dans les stades en témoignent. Mais la perfection se mesure surtout à l'aulne du travail accompli. C'est en effet cet esprit tatillon, inventif, fertile, pointilleux qui aiguille maîtres et élèves depuis des décennies. En gros depuis les quatre de Liverpool. Un bon album de pop pourrait donc se résumer à cet adjectif, ce sésame : le mot « parfait ». Cette connaissance scolaire des règles et des codes de la pop antique semble avoir guidé les cinq garçons dans le vent de Dog Is Dead qui depuis deux ans affolent le petit cercle émotif de la critique rock. Depuis leur fabuleux single Young publié en 2010. En une année féconde, le groupe originaire de Nottingham est sorti du bois avec une pleine livraison de chansons toutes plus séduisantes les unes que les autres. Puis le silence. Logique, reposant qui devient alors assourdissant. Inquiétant même. Le groupe décide de délivrer ses fans de leur tourment avec son premier opus, All Favorite Stories. Première surprise, seuls deux singles figurent dans la tracklist. C'est sous le signe de l'appréhension - nouveauté oblige - que commence alors l'écoute calme, religieuse de l'album. Le premier titre frappe par sa timidité, comme s'il s'était fixé pour objectif de ménager l'auditeur. Hésitation ? Manque d'assurance, pire de courage ? Nullement. En chiot rusé, Dog Is Dead a voulu créer un effet de surprise qui trouve sa pleine expression au moment où explosent littéralement la guitare, cristalline, et la basse, énorme, de Do The Right Thing. La confiance à peine entamée par leurs faits d'arme, les membres du groupe enchaînent les tubes avec une facilité déconcertante - cette fameuse perfection pop typiquement anglaise - jusqu'au dernier morceau de la face A, un Two Devils aux inflexions plus sombres. Une nouvelle couleur ajoutée à la palette sonore du groupe qui ne fausse en rien son identité. Au contraire, il faut parfois dire les choses avec sérieux, gravité pour contrebalancer les douces futilités de l'existence. Hands Down remplit son rôle à merveille en ouvrant si puissamment la deuxième face. Au milieu des chansons exquises, pensées à l'évidence pour faire vibrer les ondes, on trouve des titres plus complexes comme les déjà mythiques Glockenspiel Song et River Jordan au saxophone rutilant. Il y a chez Dog Is Dead une clarté, une exubérance, une manière si chatoyante qui ne sont pas les seuls apanages de la jeunesse. Ils sont aussi les attributs du talent. On note surtout chez ces érudits - parfois un peu trop fascinés par l'exotisme rythmique de Vampire Weekend - une vraie science de l'écriture ou tout du moins une inclination pour les structures classiques, couplets et refrains chantés avec ferveur, ces « Oh Oh Oh » déclinés au détour des chansons tels des mantras. Il apparaît pourtant regrettable de voir cette parfaite première tentative se terminer par un morceau relativement monotone pour ne pas dire insipide. Certes, Any Movement - qui n'a jamais aussi bien porté son nom pour sa dimension lymphatique - répond à la tradition voulant que le dernier titre d'un album puisse accompagner l'endormissement de celui qui l'a écouté. On eut préféré trouver à la place l'impeccable Young qui manque cruellement à l'appel. All Our Favorite Stories en aurait été bonifié à jamais. Inutile d'en vouloir plus que de raison aux musiciens de Dog Is Dead, jeunes chiens fous de l'indie pop british. Et pour cause, il suffit de méditer en vieux sages les mots pétris de bon sens et d'humour du célèbre philosophe anglais Bertrand Russell : « Il vaut mieux viser la perfection et la manquer que viser l'imperfection et l'atteindre ».
Dog Is Dead, All Our Favorite Stories (Atlantic)
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