Méfiez-vous de l’eau qui dort.
À la faveur d’un dîner, un ami me demandait si une récente sortie avait provoqué en moi un choc émotionnel. Pas moins. En guise de réponse, j’allais chercher l’un de ces albums chéris, arrachés à la décennie 70, et dont l’évidence, la fraîcheur et la beauté frappent encore après tant d’années. Quand je me ravisais. Non. J’avais bien enfoui dans ma mémoire vive un groupe, un disque. Que nous réécoutâmes d’ailleurs ce soir-là. Un sourire d’extase coincé entre nos lèvres. The Besnard Lakes Are The Roaring Night. Le troisième album d’un quatuor de canadiens dévots qui en son temps, l’année 2010, avait secoué le petit cercle de la critique rock. Alors que la dernière note balayée par le diamant de ma platine eut empli l’espace, j’eus cette pensée fugace mais chevillée. Les Besnard Lakes sont bel et bien l’un des orchestres rock, les deux mots sont pesés, les plus passionnants du moment. Au-delà de la ferveur qui habite le couple-leader Jace Lasek et Olga Goreas, des guitares foudroyantes et des chœurs séraphiques, c’est avant tout leur conception de la musique qui suscite l’adhésion. Comment un groupe peut-il envisager la création d’un album, aspirant au succès des ondes, d’une telle manière ? Un disque dont le premier morceau de la première face s’articule autour de deux parties qui, soudées l’une à l’autre, emportent l’auditeur au-delà des huit minutes. Démarche anticonformiste et surtout infiniment risquée. D’autant que Like The Ocean, Like The Innocent possède tous les atours du climax final. Sans même souligner que l’unique single n’arrive qu’en quatrième position. Inutile de se poser plus de questions, il est clair que nous avons affaire à une formation à part dans le paysage rock actuel. Confrères des désormais essentiels Arcade Fire, autre orchestre au sens littéral du terme, les membres de Besnard Lakes conçoivent leur musique en dehors des codes habituels. Peu de chansons courtes, bien que chacune soit emprunte d’une dimension pop manifeste, quasi axiomatique. Une électricité, toute en frasques soniques, assemblée comme autant de couches, mais restituée de façon organique ; live dirons-nous. Enfin, des morceaux déclinant un langage unique, une architecture semblable : début élégiaque, montée progressive, le jeu de mots n’est pas innocent, puis explosion symphonique. On pense alors à l’héritage des seventies qui furent le prolongement grandiose, stadium, de la décennie précédente. Il y a chez Besnard Lakes une décoction lente de foudres zeppeliniennes mêlées à la précision diamantaire de Genesis. Comme nous l’imaginions, la face B se déroule selon le même principe, une longue suite en deux parties qui attend l’ultime seconde pour dévoiler un titre plus concis ayant tous les attributs du hit potentiel. Pareilles étrangetés n’empêchent aucunement leur musique de mériter l’appellation « classic rock ». Classique, parce que leurs chansons se réécoutent longtemps après avec un plaisir inaltérable. Ces mélodies dotées de guitares bravaches en guise de parenthèses résistent au temps ce qui est bien ; mieux, elles impriment durablement leur profonde nostalgie pour un âge d’or où le rock se faisait audacieux. C’est pourquoi, loin d’en assurer la chronique paresseuse, nous prierons chaque jour les dieux du rock afin qu’ils nous rapprochent de l’Heure où leur quatrième album sortira. Début 2013 à en croire la rumeur. Feront-ils à nouveau allégeance à la sainte liberté, guidant aujourd’hui leurs pas, ou auront-ils changé de cap vers une pop dégraissée, courte, avenante mais toujours bruyante ? Qui peut le dire, si ce n’est les Besnard Lakes. Et encore… Ils sont trop honnêtes pour établir des plans de carrière, parler la langue des stratèges. Trop fiers aussi et pas assez connus pour y céder. Indépendants, bûcheurs, spontanés. Ainsi vont et rêvent, de leur propre aveu, les Besnard Lakes. Dans les eaux troublantes de leur merveilleuse inspiration.
The Besnard Lakes Are The Roaring Night (Jagjaguwar)
http://www.youtube.com/watch?v=V4Pj3zxlIh8&playnext=1&list=PL6BDCB803A90FF18D&feature=results_main
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