De l’eau dans le gaz pour le shoegaze ?
Appelé aussi Shoegazing ou dream pop, ce courant affidé du rock alternatif fit son apparition dans le sud de l’Angleterre à la fin des années 80. Après des années de lessivage culturel incarné par les pires formations brit’, Duran Duran, Kajagoogoo, Rick Astley et tant d’autres nains de la pop, une nouvelle génération aspire à une forme d’ascèse musicale. Résumons le style de façon brève : prenez la fuzz des groupes sixties, ajoutez un mur de son spectorien, puis la froideur détachée du Velvet, des voix blêmes, en retrait et vous obtiendrez alors la formule parfaite pour devenir un groupe Shoegaze. A la presse de produire le plan de com’ du mouvement naissant. L’origine du nom reviendrait au NME. Tiré des mots Shoe (chaussure) et gaze (regarder), l’expression traduirait cette posture scénique, regard rivé sur les nombreuses pédales d’effet. Mais on pourrait également entendre par Shoegaze une certaine attitude propre à l’Adolescence, faite de timidité, yeux baissés façon profil bas. My Bloody Valentine devient rapidement la première formation à véhiculer ce néo romantisme bruitiste. D’autres suivront dont les légendaires et lysergiques Spiritualized. Fondé par Jason Pierce en 1990 à Rugby, bourgade sévère du centre de l’Angleterre, le combo égrène au fil des années des albums fulgurants, aux titres longs et abrasifs. Le songwriter y confesse ses nombreux excès (drogués). Victime d’une grave pneumonie en 2005, Pierce entame une indispensable cure qui le voit stopper toute prise de drogue. C’est dans cet « état » de renaissance qu’il compose les onze chansons de Sweet Heart Sweet Light. Malgré le clin d’œil appuyé au deuxième opus du Souterrain de Velours, le disque semble moins torturé, l’électricité y apparaît moins tordue, comme si les convulsions du passé avaient cédé la place à une pop plus réconfortante, plus sucrée. Tant est si bien que l’on se demande : le Shoegaze, de l’histoire ancienne ?
Jason Pierce sort les violons.
Après avoir violé nos oreilles d’incessantes déflagrations soniques, Pierce enterre la hache de guerre noisy. Enfin en apparence. S’il se veut plus apaisé que les précédentes livraisons, Sweet Heart Sweet Light arrive malgré tout à souffler le chaud et le froid. Habile, il enchaîne dans sa track list tronçons électrifiés et sucettes doucereuses. Depuis quelque temps, l’homme ne boit que du thé, ok, c’est un angliche ; mais ce petit détail s’entend. Comme si la boisson était parvenue à adoucir ses mœurs musicales ; à soigner ses angoisses. L’ouverture du disque symbolise l’héritage, comme un dernier regard jeté sur le passé. Intro façon calme avant la tempête. Il est important de noter, à ce moment précis de l’analyse, à quel point le leader de Spiritualized se rapproche de l’un de ses pairs spirituels, Lou Reed. Comme si Pierce avait voulu réconcilier le troisième opus du Velvet, résolument feutré, avec le premier, plus tempétueux. Autre point de comparaison avec le Lou. Même dans ses compos les plus longues, il ne peut se départir de son sens évident, naturel de la mélodie. Un point de repère. Un abri rassurant. Nous en étions resté à l’entame plutôt cool, passons au deuxième titre présenté comme LE single du disque. Hey Jane donc. Hey Joe au féminin. Chanson en forme de patronyme avec ses riffs frottés, son orgue aigu, ses toms cardiaques et la voix du maître comme posée sur ce tapis de sons duquel on arrive même à extraire un banjo. Les chœurs lui confèrent sa dimension pop. Presque nonchalante. Car cette trame ensorcèle à force d’être répétée en boucles comme un mantra. Little Girl illustre la deuxième option avec une perfection rarement atteinte dans une œuvre contemporaine. Couplet tendre comme un pudding, refrain rêvé, progression crescendo, production au top. A y prêter l’oreille, on friserait le groove de Transformer ! Get What You Deserve, hé ouais, prends ce que tu mérites, c’est-à-dire et dans le désordre le plus total bourdon de guitare, orgue saturé, violons tibétains, voix acidulée, clochettes folles, soli spatiaux. Sur le final, on touche quasi à l’abstraction. Cooooooool. Too Late décline la formule de Little Girl mais avec cette sensibilité ineffable que Jason Pierce glisse dans chaque mot. Le refrain aux envolées symphoniques sur-joue l’émotion sirupeuse et maternelle, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Headin’ For The Top Now. La guitare sonne comme une aciérie du Michigan. Les notes crépitent, surgissent en feux follets rougeoyants. Le miracle tient ici dans la voix, mixée en avant sur les couplets, et les mille et une strates superposées de façon quasi spectorienne. Freedom dans son registre apaisé tutoie la ballade américaine, de celles que l’on chantait le soir au coin du feu avec les Appalaches en toile de fond. I Am What I Am trouble le silence de la nuit pour la prolonger en je ne sais quelle danse indienne, chamanique, tordue par les appels répétés du peyotl. Chœurs noirs et spirituels sur le refrain produisent des effets nouveaux, comme si Pierce avait décidé de retracer TOUTE l’histoire de la musique populaire en onze chansons. Fascinant. Comme ce sax que l’on perçoit, noyé dans la masse/messe rock’n’rollienne.
Grand Final.
Cette logique presque reproduite à l’infini disparait sur les trois derniers morceaux de l’album (saluons au passage la soul fender rodhisée de Mary), nous permettant d’aller plus loin dans l’exégèse. Et si Pierce cherchait à formaliser le cycle de la vie ? Epopées électriques et pop song enjouées représenteraient les premiers âges, la naissance, l’enfance et l’adolescence. Le final, céleste, symboliserait les dernières années, celles qui précèdent le repos éternel. La longue et tumultueuse ligne de la vie. Ou peut-être tout simplement un trip drogué. Montée – Expérience – Descente. Je suis con, moi.
http://www.deezer.com/fr/music/spiritualized/sweet-heart-sweet-light-1679251
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