Ty Segall & White Fence, un Hair de rien

par Adehoum Arbane  le 15.05.2012  dans la catégorie A new disque in town

« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » disait Jean de La Fontaine. Sans doute n’a t-il jamais pris le temps d’écouter la dernière livraison du duo de songwriters san franciscains, Ty Segall et White Fence, sobrement intitulée Hair. Sans doute en aurait-il eu les cheveux dressés devant tant de simplicité ramassée et d’abrasivité renardée. Oublions notre fabuliste préféré. Se pencher sur l’œuvre en question nécessite une stratégie Bonapartiste : campagne éclair, chronique sabre au clair ! Résumons la ligne directrice : Hair relève du pot-pourri, empruntant d’un côté aux Who des premiers âges avec ses refrains percutants ; puisant de l’autre dans le terreau fécond du psyché-folk us mais avec la rage des meilleurs power-trios.

Face A, on ne la perd pas encore, Time lance le décompte, one, two, free, four, dans une pesanteur presque dilatée, christique, premier riff, deuxième décompte et nouveau riff. Puis, de façon assez surprenante démarre un arpège acoustique enrobé d’une basse Beatlesienne. Pour faire dans la métaphore fumeuse, cela sent les après-midi fumettes au Golden Gate Park à contempler les doonuts nuageux s’évaporant dans le ciel alors que de minuscules gouttelettes de pluie dorées jouent à Tetris sur la surface de vos lunettes de soleil bleutées. Un brouillard électrique vient alors troubler ces bacchanales rêveuses.

C’est sans doute avec I Am Not A Game que débute réellement l’album. Orgue de foire en guise de thème principal, ambiance presque anglaise, la voix nasillarde de White Fence, que vient déranger un riff élastique, granuleux. La boucle est, comment dire, pareille à nos cheveux… Bouclée. Psychédélisme compact, avec en final solo d’orgue lorgnant malignement vers le mini moog et gratte débraillée.

Easy Rider joue la carte du single carré, couplet et refrain identifiables, qui nous rassure aussitôt. Caisse claire en ouverture, le ton est posé, la voix ronde de Ty croone dans une quiétude quasi inquiétante (que d’allitérations). La guitare embraye, ralentie, à la cool, même le chorus semble scolaire bien que parfaitement exécuté. À ce propos, il ne s’agit pas dans l’ensemble de soli au sens traditionnel du terme. Mais de segments, de pans d’électricité superposés dans un joyeux bordel. 2’24’’, c’en est assez.

Fin du premier acte avec le diptyque The Black Glove/Rag long de cinq minutes. Les premières notes, pastorales, ne sont pas sans rappeler l’unique LP de Fane Jade, les arrangements en moins. Mêmes réminiscences poppy-folk chez nos compères, même goût pour les compositions pleines de ruptures. La touche perso ? Cette guitare aiguisée s’ébrouant pour la plus grande joie de nos oreilles. On les avait peu habituées à des passages aussi diserts. Transition psyché façon Foxy Lady, début de la deuxième partie, plus rock, velvetienne, violente, vociférante, voix en échos, effets de stéréo zarbi. 

On retourne la galette. Crybaby. A peine deux minutes au compteur, mais quelles minutes ! Impression horrifique pour un boogie-bordélo-rock imparable. Entre le Jeff Beck Group et les Beatles de Birthday, le tout produit par le fils imaginaire de Little Richard et de Bob Ezrin.

De manière presque gémellaire, (I Can’t) Get Around You offre à l’album son deuxième single. Les influences croisées, mélodie à la Brian Jonestown Massacre et solo que n’aurait pas renié Barry Melton de Country Joe & The Fish, nous redéposent en terrain connu. Celui du San Francisco Sound. On opine du chef !

Scissor People, sommet de brutalité ! Riff malin, entraînant, refrain solide, guitare cisaillée (sic) puis canardée et son pont, ah son pont, si peu avignonnais. Et pourtant, on y danse, on y danse. Clairement, on y pogote à tout rompre. D’autant que nos maîtres d’œuvre ont opté pour un enchaînement foutraque. Collant les unes après les autres plusieurs pistes de guitares dans le plus pur esprit punk. La dernière, habile déclinaison du rock allemand de CAN, se prolonge jusqu’au final… Désaccordé, LSDéisé.

Tongues clôt le LP comme ce dernier avait débuté. Dans les échos dilués d’un psychédélisme tubulaire avec chœurs très Pretty Things, période SF Sorrow, et guitare tourbillonnante. Alors que la basse semble littéralement se déboiter comme une rotule folle, les musiciens apportent à leur titre de nombreux effets, clins d’œil au Tomorrow Never Knows des quatre de Liverpool. Tempête électrostatique et crissements de six cordes sur le tarmac du studio.

Après écoute et accumulation d’acouphènes, nous vient alors à l’esprit cette ultime citation de Jean de La Fontaine : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».

Ty Segall & White Fence, Hair (Drag City)

70tysegallwhitefence.jpg

Time :

http://www.youtube.com/watch?v=ByfQVDOCacg

I’m Not A Game :

http://www.youtube.com/watch?v=7SRcMko1hXQ&feature=related

Scissor People :

http://www.youtube.com/watch?v=WB0prce4eDA&feature=relmfu

 


Commentaires

Gravatar

08.06.2012

Je viens de découvrir votre blog et je l\'aime beaucoup, autant sur le fond que sur la forme. Les articles sont écrits de manière élégante et érudites je trouve sans pour autant paraître pédant. Bravo.

Félicitations pour le nom du blog aussi, que j\'aurais beaucoup aimé avoir trouver avant vous^^

Mais trêve de dithyrambes pour le moment, cependant je reviendrais.

Gravatar

29.07.2012

J\'ai beaucoup aime9 cette note qui m\'a vriaemnt e9mue. Je n\'ai perdu aucun de mes grands parents, mais cela m\'a rappele9 de forts souvenirs de mon papi aujourd\'hui pas si loin de la mort. Il e9tait boucher, et pre9parait des pe2te9s, des terrines des boudins etc qui n\'ont jamais pu e9galer tous ceux que j\'ai gofbte9 jusque ici (et qui ne pourront d\'ailleurs jamais l\'e9galer !). Je me rappelle encore de son boudin noir avec de la pure9e maison, et lui qui me grondait lorsque je ne finissais pas mon assiette (en meame temps il fallait voir les quantite9s qu\'il servait !!!). Il ressassait toujours la meame phrase : moi, e0 14 ans, quand je travaillais, si je finissais pas mon assiette, on me rajoutait une louche en plus ! . Que de bons souvenirs ! Merci beaucoup.

Envoyez un commentaire


Top