Aimer le métal est-il vraiment ringard ?
Réduire le metal à une communauté de bouffons hirsutes, drapés de noir et chaussés façon milice de Belzébuth, serait un brin réducteur. Même si la tentation est grande. Même si certains de ses membres peuvent agacer par leurs outrances vestimentaires. Même si certains groupes s’avèrent hardcore, pas au sens où ils l’entendent. Le métal. Hurlant ? Oui, mais pas que. Né dans les chaudrons anglais du début des seventies, ce genre souvent galvaudé s’honora à compter dans ses rangs de valeureux héros : les dingos d’Alice Cooper, tripotant le hard avec les codes de la pop, les membres du Sabbat Noir, aussi classieux qu’inquiétants, ou le gang survolté, mi-figue mi-moustache, de Motörhead. C’est d’ailleurs du côté de la perfide Albion que fleurissent les meilleures formations. Leur crédo est clair, simple, limpide : associer lourdeur et vélocité. D’où l’appellation qui dès lors s’imposera dans le dictionnaire rock : heavy metal. Un groupe comme Black Sabbath, cité plus haut, pose très vite des bases sur son deuxième Lp, Paranoid, qui connaît en 70 un grand succès critique et commercial. Ce qui pourrait sembler étonnant au vu de ses ambiances lugubres, déprimantes, ses thèmes globalement difficiles comme le conflit nord Vietnamien évoqué dans le très direct War Pigs. Les riffs en fusion de Tony Iommi (privé de trois doigts à l’époque où il officiait comme ouvrier métallurgiste !!!) et la voix marmoréenne mais réellement séduisante d’Ozzy Osbourne donnent au disque une singulière tonalité, jusque-là inédite en Grande-Bretagne : quand Led Zeppelin puisait ses influences dans le blues, Deep Purple jouait la carte d’un hard rock baroque. La réputation sulfureuse de Black Sabbath a sans conteste nourri une fascination du public dont une partie finira, comme le veut la célèbre citation du Velvet Underground, par monter un groupe. Il s’agit sans doute du point de rupture dans l’histoire du genre. Car dans le jaillissement créatif de cette nouvelle scène, on trouve déjà des scories. Dans certaines pochettes se nichent des éléments, des signes pourrait-on dire, de ce dévissage artistique. Le satanisme heavy comporte ses propres règles, le fameux poing fermé avec index et auriculaire dressés, ses forfaitures qui le plongeront progressivement dans les excès, les concerts littéralement monstrueux, pire la ringardise. Mais est-ce si vrai que cela ?
Métal Vibrant !
Un exemple échappe à ce versant horrifique du heavy metal qui fera le miel des kids des années 80. Loin des Iron Maiden, Juda Priest et autres Dio, notons le cas Van Halen. Et surtout de la formation à ses débuts, nous étions en 1978. Avant d’entrer dans la chronique détaillée de leur mythique premier album, profitons de l’occasion qui nous est donnée pour dresser une brève mais nécessaire biographie : celle-ci demeure éclairante. A l’origine du groupe, on trouve une famille : Eddie et son frère Alex Van Halen. Le premier assure le rôle de guitariste soliste, l’autre celui de batteur. Tous les deux sont des musiciens accomplis. On pourrait croire qu’un pacte faustien en fut à l’origine ; il n’en n’est rien. Ils doivent tout à leur père, Jan Van Halen. Saxophoniste et arrangeur, ce dernier les initia très tôt à l’étude de la musique. Grand bien lui a pris. Deuxième précision d’importance, la localisation du groupe. Autrefois installé aux Pays-Bas, le clan Van Halen s’établit définitivement à Pasadena, Californie. Sous des cieux plus cléments. Ceci expliquant la dimension cool de leur futur musique. La première moitié des années 70 voit nos musiciens errer de combos en formations. Jusqu’à se stabiliser autour des frères Van Halen, du chanteur (ancien entrepreneur !) David Lee Roth et du bassiste Michael Anthony. Découvert par le groupe hard glam Kiss, nos quatre compères enregistrent sous la houlette de Gene Simmons une cassette de démos qui ne débouchera cependant pas sur un contrat. En mai 1977, le groupe est repéré par Mo Ostin, un ponte de la Warner, et Ted Templeman, ancien leader du groupe soft pop Harpers Bizarre et jeune producteur en bois brut. Ce coup du destin façonnera définitivement le style et la légende de Van Halen. Loin des balivernes diaboliques. C’est le premier point de différence. Templeman maîtrise les lois de la pop pour les voir pratiquées au sein de son propre groupe, même si la reconnaissance publique ne fut pas vraiment au rendez-vous. A l’écoute de ce premier opus, une chose est claire. Les onze titres qui le composent, hormis peut-être l’instrumental Eruption, ont été conçus dans le même moule : ces trois légendaires minutes qui ouvrirent aux meilleures chansons les voies radiodiffusées de la célébrité. Malgré son titre en forme de clin d’œil, Runnin’ With The Devil s’avère diablement entrainant, incisif, court… Pop en définitive. Et pourtant, un détail surprend : l’album a été enregistré quasi live, sans overdub. Eddie Van Halen n’appréciait que très peu ces techniques d’enregistrement. Il s’agit d’un atout pour l’album, et pas des moindres, conférant ainsi à l’ensemble une force, une limpidité toute californienne. Le deuxième argument qui rattache le groupe à l’esprit juvénile des précédentes sixties tient dans un seul titre, une reprise, mais quelle reprise ; placé en troisième position, You Really Got Me possède un pouvoir, une vigueur, une dimension sexuelle telle que jamais il ne démérite tout au long des deux minutes et trente huit secondes. Merveilleux chanteur, David Lee Roth domine la composition de Ray Davies. Sans parler du pont tout en feulements chantés. Une pure merveille ! Eddie en amoureux transi de Cream et de Clapton se lâche à la six-cordes, parsemant les deux faces de soli éblouissants. Quasi sitarisé sur le viril Ain’t Talkin’ ‘Bout Love, spiralisé sur le tourbillonnant I’m The One. Sur ce dernier, la prestation globale demeure en tous points impressionnante (l’hallucinant doo-woop en fin de morceau !). Fin de la première face, les mains aussi agiles que celles d’Eddie empoignent alors le vinyle pour passer la face suivante… Qui s’ouvre sur le très cool Jamie’s Cryin’ et son refrain solaire pour enchaîner sur le vibrionnant Atomic Punk. Little Dreamer avec ses chœurs sublimes introduisant le refrain représente à coup sûr le climax de la seconde moitié du disque. Hé oui, le metal peut être beau. L’album s’achève avec classe sur Ice Cream Man, parodie réussie de blues tradi (qui se poursuit en boogie hard rock sur vitaminé) et sur le très Deep Purplelien On Fire, preuve que le groupe avait les crocs : ils retourneront quelques mois après en studio graver leur deuxième album. Enfin, comme pour enfoncer le clou dans la tombe d’un metal un peu trop grand-guignolesque, le groupe prend la pose pour une pochette simple mais efficace. Découpée en quatre case comme sur Near The Beginning de Vanilla Fudge, celle-ci montre nos show men « live in studio ». Au milieu le célèbre logo « Van Halen » étincelle, aussi joliment carrossé qu’une blonde platine caressant de ses rollers le bitume bouillant de Venice Beach.
Tomber de rideau californien.
D’aucuns critiqueront le style volubile de Van Halen, tout en accélérations et autres roller coasters soniques. Soit. Mais c’est oublier la générosité d’une formation pas encore corrompue par l’industrie du rock, le dictat des radios et les synthés un peu trop prisés en cette première moitié des années 80. Surtout, Van Halen a su se délester du décorum en vigueur pour se montrer tel qu’il fut. Enthousiaste, frais, neuf, vierge de toute forme de récupération idéologique, théâtrale ou politique. Un groupe fait pour les tubes, ceux qui faisaient danser filles et garçons, parfois ensemble, pas ceux qui expurgeaient en boudins réguliers leur matière grasse et ondoyante sur les peaux cuivrées des californiennes et californiens. Et ça, mesdames, messieurs, mes kids, cela vaut de l’or.
http://www.deezer.com/fr/music/van-halen/van-halen-reissue-91517
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