Faut-il encore croire la presse rock (officielle) ?
Depuis sa naissance, à l’aube des fifties joliment carrossées, le rock n’a pu exister, respirer, se mouvoir sans son indispensable corolaire, la presse rock. Avec l’arrivée des sixties et la révolution pop, la dimension stadium des seventies et l’émergence tardive mais logique de la culture mainstream dans les années 80, la presse évolua tant bien que mal se commettant parfois en analyses douteuses. Jusqu’à trahir l’esprit « fanzine » des premiers titres comme Creem, Crawdaddy, San Francisco Oracle aux States, International Times et Oz en Grande-Bretagne, Best et Actuel en France. A l’époque, génie et mauvaise foi cohabitaient en un joyeux foutoir journalistico-débilo-littéraire. Les grands noms de la presse rock allèrent plus loin dans la proximité avec les rockeurs ; l’inceste était largement consommé. On picolait les mêmes alcools, sniffé la même dope et baisé les mêmes groupies. Bref, cela sentait l’idylle à plein pif. Puis, les journalistes gagnèrent leur indépendance, laissant dans la remise de la décennie passée l’encombrant costume de fan. Le critique, plus pro, serait redouté. Pas un disque, une tournée, une déclaration n’échapperaient à son regard inquisiteur, à sa plume tranchante. L’industrialisation concomitante de la musique et de la presse acheva de creuser le fossé. BÉANT ! Après des années de merdes radiodiffusées, la musique retrouva les chemins de la créativité, la presse rock lui emboîtant naturellement le pas. Pour finir par son sombrer à nouveau dans le conformisme d’une pensée unique globalement frelatée. Alors, question Rick Hunter : faut-il encore croire en ses jugements ?
« Dans la presse, seules les publicités disent la vérité. » Thomas Jefferson.
Voilà bien un débat singulier qui touche à notre métier, que dis-je notre mission, notre vocation. Contrairement à nos confrères de la presse dite sérieuse, nous critiques rock n’avons pas pour but d’informer. Non. Notre job est de faire littéralement bander le lecteur, d’arriver à faire vibrer les mots afin de retranscrire de façon précise mais différente la manière dont sonne tel ou tel artiste, tel ou tel album. Pour arriver à nos fins, nous empruntons les chemins vicinaux de l’analyse, les images que nous employons ne sont jamais rationnelles ou attendues. Un papier doit être aussi rock que son sujet. Une telle définition du métier interdit forcément toute objectivité. Mais valide au contraire toute forme de subjectivité. La seule règle étant qu’il n’y ait plus de règles : on peut être tour à tour méthodique, poétique, gonzo, dingo, drogué, on peut choisir d’écrire à l’infinitif, faire dans l’incisif ou bien se couler dans la peau d’un Dostoïevski de la critique rock. Une seule chose compte : l’honnêteté. Et c’est là où je veux en venir. J’observe depuis longtemps des cas patents de malhonnêteté intellectuelle. Du genre qui vous ferait passer un tocard de la six corde pour un génie méconnu du punk. Un roumain quêteur, branché sur une sono mobile, pour un gentil ménestrel folk. Un exemple dans la catégorie flagrant délire. Willis Earl Beal. Quelques irréductibles incorruptibles du rock ont tenté une opération de promo grossière : métamorphoser un ancien clochard en pleine rédemption en Robert Johnson des temps modernes. Au début, on prend la chose au sérieux. A l’écoute du disque, on glousse. On se pince même pour savoir si le rêve qui se transforme alors en cauchemar sonore relève de l’angoissante vérité ou non. Labellisé Lo-Fi par nos escrocs de l’écrit, Acousmatic Sorcery serait un sommet « d’art brut » ????? La musique en vérité s’avère pénible, à la limite de l’audible et ferait même passer Captain Beefheart et son Magic Band pour des boy-scouts de la sunshine pop. Un morceau, UN, Evening’s Kiss, sonne à peu près juste, semble même beau. Un peu léger pour un album. La bonus track, Masquerade, a tout de l’aveu. Et nos plumitifs de tomber dans le panneau. Leur snobisme les a aveuglés. Sans doute le contexte social du disque, le passé en guenilles de l’artiste les a émus plus que de raison. C’est dans leur nouvel ADN : moins de rock, plus de politique. Quelques semaines plus tard, ils récidivent en faisant l’éloge du dernier Sébastien Tellier dont les délires mystico-mégalo-sectaires se résument hideusement dans le titre Pepito Bleu, véritable resucée mélodique (?) du groupe Era. Un autre exemple m’a frappé par son inconsistance bouffie. Il s’agit d’un gratuit plutôt cool d’apparence, fait par des hipsters pour des hipsters et dont l’humour, la « tonalité » séduisent d’emblée. Mais là encore, nos apprentis rock critiques confondent talent et orgueil. Humour et cynisme. Jusqu’à en oublier le matériau de base, l’album. Quitte à descendre, autant pousser le « vice » jusqu’au bout et le faire avec le plus de brio et le moins de signes possibles. Le dernier Shins en a fait récemment les frais. Ce que l’on appelle le courage. Je ne parlerai pas du manque d’analyse, elle a sombré corps et âme dans les fonds glacés des océans de la vacuité. A l’idée de voir la Presse se fourvoyer de la sorte, avec petitesse et inélégance, on aurait tendance à se rabattre sur le web. Parmi les sites consciencieux et on en compte beaucoup, certains ont choisi comme option principale snobisme et tartufferie, adoptant ainsi des systèmes de notation cryptiques façon Moody’s de la pop, voire pire, façon Robert Parker du rock. Quelle différence faire entre un album nanti d’un 7,6 et un autre auréolé d’un 8,1/10 ??? La note demeure-t-elle pertinente ? La chronique doit-elle rester un exercice froidement mathématique ? On en oublierait que les critiques ont une âme, un cœur et des oreilles avant d’avoir un stylo et une calculette.
« Crisis, what crisis ? »
Vous me direz, c’est la crise ! Certes, le monde de la presse écrite vit dans sa chair des bouleversements radicaux. Pour assurer leur survie économique, les grands titres français se réinventent en format 2.0. La presse rock elle tente la voie de la diversification : on chronique des disques rock, certes, mais aussi des jeux vidéos, des livres, des films, on essaye de brosser un portrait différent de l’actu. On va à la soupe. Rien d’étonnant à cela. Les roitelets de l’entreprenariat se sont invités dans l’actionnariat de certains magazines. Je pense que les raisons sont plus profondes qu’il n’y paraît, plus complexes aussi. Il y a la paresse et le conformisme intellectuels, l’usure aussi. Et sans doute une forme de compromission au dictat du plus grand nombre de la part de journalistes évoluant dans un périmètre géographique de plus en plus confiné. Pourquoi prendre le temps de lire ceux qui ont traversé la petite couronne pour trouver un nouvel espace de liberté. Si un tel le dit (sans vraiment le penser), c’est bon les mecs, on peut le relayer. Pour conclure, Saint Thomas disait « Je ne crois que ce que je vois ». Moi, perso, je ne crois que ce que j’écris.
Pour les plus courageux :
http://www.deezer.com/fr/music/willis-earl-beal/acousmatic-sorcery-1626371
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